20 mai 2021

Avec Antoine Abou, à la découverte de l’hydrogène

Écrit par Juliette Mantelet

Le temps d’un allongé

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« Il faut créer de nouvelles entreprises, intégrer les marchés, les perturber, reprendre le contrôle. » Nous vous avions promis sur Nous Fomo de vous donner à lire des portraits inspirants, motivants, plein d’espoir. Des portraits de la relève, de celles et ceux de notre génération qui se bougent, se renseignent et agissent à leur échelle. C’est le cas d’Antoine Abou, 23 ans, avec son projet Cycling4Planet. Depuis le mois de septembre dernier, il sillonne l’Europe et ses capitales en vélo électrique pour aller à la rencontre de celles et ceux qui feront le monde de demain. Et plus précisément, pour devenir incollable sur l’hydrogène, cette solution que l’on présente souvent comme « l’avenir » pour notre planète. Parti de zéro, avec aucune connaissance ou formation, Antoine apprend chaque jour sur le terrain, au contact des expert.e.s du sujet qui lui ouvrent leur porte, sur un secteur encore relativement nouveau, « où tout reste à faire » et aux enjeux énormes. Avec lui, effectuons un petit tour des défis actuels à relever autour de l’hydrogène. Comment le rendre plus propre, le stocker, le manipuler ? Ce sont toutes ces questions qui se posent aujourd’hui. Et vous n’avez pas fini d’en entendre parler, car la France a investi 7 milliards d’euros dans un plan qui devrait lui permettre de devenir un acteur mondial du secteur d’ici 2030. « La France a la conviction que l’hydrogène décarboné sera l’une des grandes révolutions de notre siècle » ont annoncé les ministres Barbara Pompili et Bruno LeMaire. Bruno LeMaire, qui exprimait aussi son souhait de voir voler d’ici 2035 un avion fonctionnant à l’hydrogène, ainsi neutre en carbone. Antoine lui, à son retour, après plus de 10.000km parcourus, compte bien monter sa propre entreprise, pour changer les modèles de l’intérieur. « L’information, c’est le pouvoir ». Rencontre.

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Salut Antoine, où te trouves-tu à l’heure où l’on se parle ? 

Actuellement je suis à Munich, c’est mon dernier jour ici, et demain j’attaque les Alpes. La partie un peu compliquée (rires), mais bon s’il faut que je souffre une fois en un an, ça devrait le faire. Je me prépare un peu physiquement pour ça, et sinon j’ai eu des rendez-vous aujourd’hui. Tous concernant l’hydrogène. Un premier sur un moteur à combustion à hydrogène, puis deux heures avec une autre personne, cette fois autour de la purification de l’hydrogène. Tous les jours, j’ai entre deux et cinq rendez-vous.

 

C’est quoi l’objectif de toutes ces rencontres « on the road » 

Mon but c’est d’essayer de comprendre la chaîne de valeur de l’hydrogène et au-delà de ça, les enjeux énergétiques auxquels nous faisons face aujourd’hui. Je n’ai pas du tout de formation là-dedans, je ne suis pas ingénieur ou autre, j’ai tout découvert il y a cinq mois. 

 

C’est venu d’où cette envie de partir sur le terrain pour apprendre ?

Après ma licence de droit, j’ai décidé de ne pas continuer dans ce secteur, et j’ai monté deux entreprises en l’espace de trois ans. Après ça, on est tombé dans la période covid, je venais de fermer un restaurant, je n’avais pas aimé cette expérience et du coup je me suis demandé concrètement ce que je pouvais faire. Et je me suis dit que plutôt que de me lancer dans une nouvelle idée, j’allais prendre un an pour apprendre. Je m’étais fait la réflexion, après certains débats avec des copains, que je n’avais finalement aucune connaissance réelle des enjeux environnementaux et que malgré le fait qu’on en parle tout le temps sur les réseaux sociaux, mes connaissances étaient super limitées. J’ai donc décidé de prendre un an pour comprendre où l’on en est sur notre planète. On parle tout le temps de l’environnement, des gaz à effet de serre, mais qu’est-ce que c’est concrètement ? Je n’avais que de la connaissance de surface. 

 

Pourquoi avoir choisi spécifiquement l’hydrogène ?

Pour ne pas rester encore en surface, il me fallait faire un vrai travail de fond sur un secteur précis. Au cours d’une réunion en ligne, j’ai entendu parler pour la première fois de l’hydrogène, en tant que « nouvelle révolution verte« . J’ai cherché tout de suite sur mon téléphone et j’ai découvert ces chiffres : 7 milliards d’euros investis par la France, 9 milliards par l’Allemagne… De l’argent de partout et un intérêt grandissant. D’où mon envie d’aller trouver des gens dans ce secteur pour le comprendre. J’ai commencé par Bruxelles, où j’ai réussi à intégrer le réseau de la Commission Européenne et le pôle hydrogène. De là, j’ai compris que c’était le secteur parfait, où tout reste à faire. Plein d’avis divergents sur la question, de choses à aller vérifier point par point, de contre-arguments à donner. Tout simplement, améliorer la compréhension de l’hydrogène et de son potentiel avec un avis totalement objectif.

“ Il y a 5 mois je ne savais pas ce que c’était le gaz naturel, je ne savais pas comment fonctionnait l’électricité… ”

Tu es content du résultat jusque là ? 

J’ai eu la chance de pouvoir déjà rencontrer 170 personnes. C’est un petit monde, tous les acteurs se connaissent et on les rencontre donc assez vite. Je suis parti de zéro, sans aucune connaissance, il y a 5 mois je ne savais pas ce que c’était le gaz naturel, je ne savais pas comment fonctionnait l’électricité, finalement comme la majorité des gens. Mais par cette démarche d’aller directement poser les questions à celles et ceux qui ont les réponses, on apprend à une vitesse incroyable. Et puis tu entres tellement dans la complexité du sujet, dans le fond des choses, que tu finis par te passionner. J’ai commencé par parler pendant 5 mois de la pile à combustible, un des éléments pour transformer de l’hydrogène en électricité et aujourd’hui, je parle de catalyseur, qui est un élément au sein de la pile à combustible. Ça va très loin. Et le fait de voyager, d’aller directement à la rencontre des gens, ça amplifie cet intérêt.

 

Mais comment tu as fait concrètement pour trouver ces 170 personnes ? 

Alors c’est très simple, une semaine avant d’arriver dans une ville, je tape hydrogène dans la barre de recherche Linkedin, j’indique le nom de l’endroit et ensuite j’ajoute tout le monde, soit entre 400 et 1 000 personnes, ça dépend de la ville. Et dès que les personnes m’acceptent, je leur envoie un message et en fait la plupart des gens me répondent rapidement. Et puis, une fois que tu rencontres une personne elle te donne le contact d’une autre personne… Je croise des gens que je n’aurais jamais imaginé rencontrer… Le directeur général Europe de chez Toyota, le SEO d’une des plus grosses boîtes d’hydrogène. Ce projet suscite la curiosité.

 

Mais c’est déjà si répandu que ça l’hydrogène ? 

Les technologies autour de l’hydrogène on les connaît depuis des années. La première voiture qui a existé, c’est même une voiture à combustion hydrogène. C’est-à-dire que l’on ne brûlait pas de l’essence ou du Diesel, mais de l’hydrogène. Donc oui aujourd’hui, il y a des acteurs de l’hydrogène partout.

 

Quelques rencontres marquantes à partager ? 

Je suis allé découvrir le premier bateau à hydrogène avec le CEO de la boîte de transport en Belgique, on a discuté autour d’un café sur le pont du bateau. C’était très sympa. Je vois les choses concrètement, je visite les lieux de production. Il n’y a pas une rencontre qui m’a marqué plus qu’une autre parce que j’apprends vraiment de tout le monde, comme je pars de rien. Il y a en tout cas un vrai côté humain sur le projet car je dors majoritairement tout le temps chez les gens, et là ce sont des rencontres exceptionnelles.

 

Pas de problème à aller chez l’habitant avec le covid ? 

Je pense qu’au contraire, cela a même joué le rôle inverse, cela a facilité les choses. Quand les gens me voient débarquer en vélo alors qu’ils n’ont vu personne depuis un an avec les différents confinements, ils acceptent de m’aider. En général je demande d’abord de l’électricité pour recharger mes batteries, comme ça le contact est pris. Et ensuite la majorité des gens me proposent de manger, de dormir sur leur canapé, dans leur jardin. En six mois, je n’ai dormi que 10 fois dans ma tente.

 

 

 
 
 
 
 
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C’est quoi l’intérêt principal de l’hydrogène ?

On est en train d’effectuer un vrai shift dans notre énergie. Pendant très longtemps, elle venait du charbon, or aujourd’hui il faut décarboner. On a des objectifs très ambitieux dans les accords de Paris, on vise zéro émission en 2050. Il faut donc changer maintenant. On cherche à passer à des énergies renouvelables, l’éolienne ou le solaire. Mais le problème, c’est qu’elles sont variables. Sans soleil, pas d’électricité. La grosse problématique mondiale actuelle c’est donc d’arriver à stocker ces énergies renouvelables pour les utiliser quand on veut ensuite. Parce qu’on ne peut pas se permettre d’avoir des shut down comme il y a eu en Australie en 2017 suite à une tempête. L’énergie on peut la stocker soit avec des batteries, soit en transformant cette électricité en molécule. Cette molécule, c’est l’hydrogène. Cet hydrogène, quand il est produit à partir d’énergies renouvelables, ça s’appelle de l’hydrogène vert.

 

Mais pourquoi on est si réticent à l’utiliser ? 

L’hydrogène peut être utilisé dans plein d’industries, comme la production de fertilisant ou d’acier, le nettoyage des carburants dans les raffineries… Mais le problème c’est qu’aujourd’hui l’hydrogène qu’on utilise on ne le crée pas à partir d’énergies renouvelables. On le crée grâce à des énergies fossiles. C’est ce qu’on appelle le vaporeformage. On prend du gaz naturel ou du charbon, on le chauffe à haute température et on récupère l’hydrogène. Mais en faisant comme ça, pour 1 kg d’hydrogène que l’on crée, on rejette 10kg de CO2 dans l’atmosphère. Et on parle de quantités gigantesques. C’est pour ça que pour le moment, le secteur global de la production d’hydrogène pollue autant que l’aviation. Tout l’enjeu, dans l’industrie, le plus gros secteur à décarboner, c’est donc de remplacer cet hydrogène gris, issu du vaporeformage, par de l’hydrogène vert, produit lui à partir d’électrolyse, une machine qui transforme l’électricité provenant d’énergies renouvelables (eau) en hydrogène. Et évidemment, l’hydrogène gris coûte moins cher. C’est pour ça que tout le monde l’utilise. C’est la principale question. Parce que l’acier, en soi, qu’il soit fabriqué à partir d’hydrogène vert ou gris, ça ne change rien. Le produit est le même. La question c’est le coût, car aujourd’hui l’hydrogène vert est beaucoup plus cher, donc forcément personne ne va payer plus cher pour un produit similaire à la fin.

 

Et comment pourrait-on changer ça ? 

Cela peut passer par une réglementation qui taxerait le CO2 émis. Si tu émets plus de CO2, tu vas être taxé, par exemple. Et évidemment, réduire aussi le coût des éléments pour produire de l’hydrogène vert. Réduire le coût des électrolyseurs, ce qui passe par de la mass production. Aujourd’hui, j’ai visité plein d’endroits de production où l’on est sur des petits projets faits à la main. Et on ne pourra pas faire de la mass production tant qu’il n’y aura pas la demande.

 

Et pourquoi on en parle pas plus alors ? 

Il y a beaucoup de lobbying industriel. Le marché est contrôlé par de gros acteurs qui veulent conserver leur monopole. C’est alors compliqué de faire passer l’information. Mais les choses sont en train de changer. Les acteurs pétroliers savent qu’il va y avoir de plus en plus de taxe sur le carbone. Pour eux, l’hydrogène c’est un moyen de conserver leur modèle économique. Dans le secteur de la mobilité, ils peuvent produire de l’hydrogène, le transporter et le vendre à travers des stations services. Il y a énormément de pression, on ne peut pas continuer comme ça. Une conscience écologique globale est en train de naître et on a de plus en plus accès à l’information. Finalement cet accès global à l’information est assez récent.

Aujourd’hui, on a Netflix qui produit des reportages incroyables comme Seaspiracy et des documentaires qui nous ouvrent les yeux sur comment les industries fonctionnent. 

 

Et il n’y a pas aussi un problème de stockage dangereux dû à la légèreté de la molécule ? 

Quand je demande à des gens dans la rue ce qu’ils savent sur l’hydrogène, la plupart me répondent qu’ils ne savent pas ce que c’est, les autres que c’est l’avenir et enfin les derniers que c’est explosif. Mais on transporte de l’hydrogène depuis des années, on sait le manipuler. Il y a eu d’énormes progrès technologiques. Les réservoirs aujourd’hui sont faits en fibre de carbone et sont extrêmement résistants. Ils résistent à 700 bars de pression. Pour te donner une idée, dans mon vélo j’ai deux bars (rires). Je suis allée dans un centre de test d’équipements et ils tirent dessus avec des fusils. Un tiers du prix du réservoir va d’ailleurs dans sa valve de sécurité. Mais c’est vrai que c’est une molécule toute petite donc qui peut s’échapper, c’est pour ça que c’est difficile et cher à stocker. Mais aujourd’hui on sait le faire.

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Un conseil pour nos lecteur.rice.s qui voudraient agir à leur tour ? 

Je pense qu’aujourd’hui on a la possibilité de faire des choses sans beaucoup de moyens. J’arrive à rencontrer 170 personnes en moins de 6 mois uniquement grâce à de la prospection et des messages sur Linkedin. Aujourd’hui, avec l’excuse d’un podcast par exemple, on peut rencontrer du monde, se créer un réseau dans un secteur précis. Je suis aussi un fervent défenseur du vélo pour aller directement rencontrer les gens. Ils sont beaucoup plus réceptifs quand ils apprennent que je fais le tour d’Europe en vélo pour m’intéresser à ce qu’ils font, à leur passion. Forcément, ils ont envie que l’on se rencontre et de partager leur savoir si je vais vers eux avec la soif d’apprendre. C’est pour moi une très belle approche, parce qu’aujourd’hui si on veut avoir un vrai impact, il faut dans un premier temps comprendre les enjeux auxquels on fait face. Chercher l’information à la source, c’est un très bon moyen de commencer à agir.

« Aujourd’hui c’est tout à fait possible de kiffer tout en valorisant son CV. »

 

Qu’est-ce que tu vas faire de toutes ces informations une fois rentré ? 

C’est en cours de réflexion, il n’y a encore rien de bien défini. Mais ça sera toujours dans une démarche entrepreneuriale, car pour moi une des meilleures façons d’agir et de changer les choses rapidement c’est de créer de nouvelles entreprises, intégrer les marchés, les perturber, reprendre le contrôle, jouer selon les règles du jeu. Les grands changements viendront des entreprises

 

Un conseil pour oser se lancer comme ça à l’aventure ? 

Je pense qu’il ne faut pas trop réfléchir. Il faut surtout tout mettre en place pour être forcé à le faire, se retrouver confronté au moment du départ. Je ne me suis pas du tout préparé psychologiquement, je me suis simplement retrouvé sur le vélo et je me suis dit, « allez c’est parti ». Psychologiquement, tu y réfléchiras une fois sur le moment. Tu n’as pas besoin de te poser cinquante questions, fonce. On est super jeunes. En France c’est fou cette pression sociale qu’on a, tant au niveau de nos ami.e.s, que de la société, du travail. Une pression que j’ai subie pendant longtemps ayant arrêté mes études et monté mes propres projets. Je passais pour la personne qui ne fait pas grand chose. Mais finalement, on a tellement le temps de faire ce qu’on a envie de faire et ce ne sont jamais des années perdues, on grandit toujours. Aujourd’hui c’est tout à fait possible de kiffer tout en valorisant son CV. Je vis une vie de rêve tout en m’investissant dans plein de projets et en découvrant plein de choses. L’année du covid ça aura été finalement la meilleure année de ma vie. Rencontrer des gens, voir le vrai monde, la diversité des modes de vie, comment les gens pensent ailleurs, c’est incroyable.

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Notre génération se dit souvent que c’est trop tard, pour toi il y a donc encore beaucoup à faire ? 

En vérité, c’est sûrement trop tard. Mais dans tous les cas il faut faire quelque chose pour que ça ne soit pas pire encore. Il faut faire les choses par étape, on ne peut pas tout révolutionner parfaitement car ça implique tellement de personnes différentes, tout un réseau à modifier. À chaque fois que tu touches à quelque chose ça impacte quelqu’un d’autre. Il faut y aller par petites étapes, et jouer dans les règles du jeu surtout. Tu ne peux pas changer l’hydrogène gris par de l’hydrogène vert si ça coûte quatre fois plus cher, ça ne fonctionnera pas. Tu ne peux pas forcer les consommateurs à payer tout plus cher parce que c’est vert. Le consommateur globalement choisira toujours ce qui est le moins cher. C’est donc en amont de la chaîne qu’il faut réussir à agir pour proposer des solutions rentables et intéressantes. Même si elles ne sont pas forcément complément décarbonées. Il faut voir sur le long terme, voir comment sur 20 ans on va réussir à décarboner par étapes, faire une transition, construire un réseau pour pouvoir trouver un business model qui fonctionne et pour convaincre tous les acteurs impliqués.

En étant pessimiste, on n’arrivera à rien. Il faut agir, comprendre comment ça fonctionne, qui tient les rênes, comment sont influencées les décisions, parce qu’on ne sait pas encore vraiment de quoi sera fait l’avenir et qu’il reste beaucoup à faire.

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