7 juin 2021

Mais qui tient les rênes de notre architecture ?

Écrit par Ségolène Montcel

  Le temps d’un allongé

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Vous saviez vous qu’aujourd’hui le sable est la ressource la plus utilisée de la planète après l’eau ? Qu’il est actuellement en voie de disparition ? Et qu’il existe même des trafics illégaux de sables ? Et vous êtes-vous déjà demandé pourquoi on a construit les villes différemment dans le sud et dans le nord ? Ou à quoi ressemblera la ville de demain ? Toutes les réponses aux questions que vous ne vous êtes jamais posées, c’est ici et c’est grâce à Luca, 25 ans, architecte. Personnalité engagée et curieuse, Luca voit dans l’architecture un moyen d’expliquer le monde d’hier, de comprendre celui d’aujourd’hui et surtout d’imaginer celui de demain. Le temps d’une balade dans un quartier emblématique de l’architecture parisienne, Luca revient sur cet art fondateur de nos sociétés, preuve physique et tangible du passage de l’être humain sur terre et articulation entre métabolisme de la planète et l’Homme. Rien que ça. 

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Un mercredi après-midi ensoleillé et déjà bien déconfiné, nous nous retrouvons avec Luca vers la station Opéra. L’architecte est franco-italien, il habite à Paris et il perçoit le monde différemment de vous et moi. Parce qu’il faut savoir que Luca, quand tu l’invites chez toi, il examine. Quand d’autres jugeront ta déco ou la qualité de ton apéro, lui c’est l’épaisseur de tes murs et l’agencement de tes fenêtres qu’il remettra en question. Il m’explique que la vocation d’architecte, il l’a eue assez jeune. Avec un père qui travaille dans l’immobilier, des cours de perspective en Arts Plastiques qui l’ont marqué et des voyages à s’intéresser plus à l’architecture qu’à la gastronomie sur place. Ce fut une évidence. 

 

Actuellement, dans l’agence où il travaille, Luca planche sur un prototype expérimental de mur végétalisé ET autonome. Et c’est à cette architecture du futur que nous avons notamment consacré notre balade. 

 

Mais pourquoi c’est construit comme ça ? 

Nous nous trouvons au cœur du quartier Opéra, devant la bouche de métro, carrefour de plusieurs avenues emblématiques et caractéristiques du travail d’Haussmann, baron urbaniste à Paris. L’objectif principal de ce bouleversement architectural du XIXe était d’aérer Paris. Les maladies et les miasmes se développaient en quantité dans les toutes petites ruelles étroites du Paris d’avant Haussmann, où l’air ne circulait pas. On pensait alors que l’air stagnant était à l’origine de ces maladies. Avec ces travaux, l’objectif était également d’empêcher les manifestations et les révoltes, en rendant plus difficiles la formation de barricades. En 1853, c’est Haussmann qui s’empare du projet. 

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« Tu vois là on voit une énorme percée, avec ce grand boulevard qui traverse tout le Paris de l’époque ». 

Haussmann, visionnaire du durable 

 

Les travaux d’Haussmann ont duré vingt ans, et durant cette courte période, tous.tes les ancien.ne.s habitant.e.s ont été relogé.e.s dans les nouveaux immeubles haussmanniens. Chaque bâtiment a été pensé dans son ensemble pour répondre aux différents usages : les commerces en bas, les étages nobles au premier étage, car il n’y avait pas d’ascenseur, et plus haut, on trouvait les chambres de bonnes, de service. 

 

Pourquoi peut-on parler de durabilité avec Haussmann ? 

 

D’après Luca,

« C’est durable parce que ce sont des logements qui 200 ans après tiennent encore. 

C’est durable parce qu’il y a un mélange des populations, c’est-à-dire qu’on n’a pas logé tous.tes les pauvres dans un coin et les riches dans un autre. 

C’est durable parce qu’il y a un mélange des usages, les commerces peuvent être transformés en bureaux et habitations.

C’est durable parce que les matériaux utilisés le sont, ce sont des structures en acier et en pierres massives. 

 

On dit aujourd’hui que les typologies des immeubles haussmanniens sont les plus denses en termes urbains, c’est-à-dire qu’à l’échelle du quartier si tout est construit en architecture haussmannienne, la ville est aussi dense que Manhattan ou Tokyo. La densité urbaine, c’est la capacité à utiliser au mieux la parcelle à disposition. Avec la variété des usages, la proximité des services et la mixité sociale, c’est une ville qui est complète. »

Nouveaux matériaux et enjeux de l’architecture d’aujourd’hui  

 

Que ce soit pour des raisons climatiques ou de santé, l’architecture et la conception architecturale n’ont eu de cesse d’évoluer selon les époques. Aujourd’hui, nous repensons les modes du concevoir et du construire, parce que justement nous savons qu’il y a un problème de dérèglement climatique. Le monde du bâtiment en France, c’est 40% des émissions de gaz à effets de serre des pays développés, 40% des déchets produits, 37% de la consommation des énergies primaires. Les architectes savent désormais qu’ils doivent faire attention à comment et pourquoi on construit. D’où la croissance des toitures végétalisées, ou cette volonté nouvelle de recouvrir les toits de blanc, la couleur blanche n’absorbant pas la chaleur, ce qui diminuerait la température intérieure de nos bâtiments. 

 

Ce qui freine cette évolution, comme c’est le cas par exemple pour le développement de l’hydrogène dont nous vous parlions il y a peu, c’est le coût et le court-termisme. Le changement vers la durabilité coûtant toujours plus cher à court terme. Tous.tes les architectes ne sont pas encore prêt.e.s à ça aujourd’hui.

 

 

La Guerre des Sables 

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« Le sable qu’on utilise en France vient de partout dans le monde. On nous dit que le béton c’est génial parce que c’est local, mais seul le mélange est fait sur place. Le sable vient d’ailleurs. » – Luca

Depuis dix ans, le monde du BTP connaît un véritable boom. Aujourd’hui, on parle même de razzia du sable au niveau mondial, que ce soit le sable noir du Cap Vert revendu pour fabriquer des parpaings ou celui des côtes du Maroc, servant aux grands ouvrages d’aménagements, aux complexes hôteliers, mais aussi revendu aux promoteurs immobiliers étrangers partout dans le monde. Le sable est la matière première pour concevoir le béton et il fait aujourd’hui l’objet d’extractions illégales. À certains endroits, des plages entières ont même disparu tant l’ampleur du trafic a pris de l’importance. Au Maroc, c’est armés de pelles et accompagnés d’ânes que des milliers de personnes viennent extraire chaque jour illégalement le sable, pour un salaire approximatif de 6 euros par jour. Le béton consomme un sable bien spécifique, et ce dernier est aujourd’hui en voie de disparition. Ce conflit porte un nom, « La Guerre des Sables ».

 

Au Cap-Vert, les conséquences environnementales de l’extraction illégale depuis 2010 du sable noir sont désastreuses : érosion accélérée de la côte, appauvrissement de la ressource halieutique et pollution par le sel des nappes phréatiques et des champs avoisinants. À côté de cette catastrophe liée à l’extraction, la production de ciment rejette aussi énormément de gaz à effets de serre, demandant une quantité d’eau et d’adjuvants non négligeable.

En 2018, l’entreprise française de matériaux de construction Lafarge a été soupçonnée d’avoir payé l’État Islamique pour conserver leurs usines de sable et pouvoir ainsi continuer à produire sur le territoire syrien. Au total, d’après l’enquête en cours, LafargeHolcim aurait versé à l’Etat Islamique via sa filiale LCS sur place, près de 13 millions d’euros entre 2011 et 2015. Afin de continuer à faire fonctionner son usine et ne pas perdre l’avantage sur cette guerre du sable, Lafarge se serait adonné à des arrangements troubles avec les groupes armés environnants, alors que le pays s’enfonçait dans la guerre. En septembre 2014, l’EI s’est ensuite emparé du site et le cimentier a annoncé l’arrêt de ses activités. En juin 2018, le groupe est alors mis en examen pour différents chefs d’accusation dont celui-ci, pas des moindres : « financement d’une entreprise terroriste« . 

 

Et pourtant, le béton, on en écoule une piscine olympique toutes les trois minutes. « Parce qu’en réalité il est parfait ce matériau, il tient super bien et il est très malléable. Aujourd’hui construire sans béton coûte dix fois plus cher », affirme Luca. Pour certain.e.s architectes, le béton reste leur matériau signature, il est « à la mode », et ils.elles ne sont pas prêt.e.s à s’en passer. Au prix de leur moralité ?

« Une majorité d’architectes est encore là à dire que c’est magnifique le béton, mais c’est comme dire que le Concorde est exceptionnel. Derrière, tu te demandes quand même si ça a du sens de produire un Concorde encore aujourd’hui.
– Luca

Les matériaux alternatifs comme le bois, la paille ou la terre, bio-sourcés, pourraient alors être utilisés comme remplaçants, mais les architectes et constructeur.trice.s ont souvent peur que les fondations ne tiennent pas, ou même d’y voir des insectes. Alors même que ce n’est pas possible nous affirme Luca. « La paille c’est juste de la fibre végétale et les insectes se nourrissent des graines du foin, qui ne se trouvent pas dans la paille. » Autre aspect positif, la paille est un déchet agricole, elle vient donc de France. Et la terre, elle, peut même venir directement du chantier, et être de ce fait upcyclée. On est encore trop dans le cliché de « tu construis en paille t’es un hippie », confie Luca, alors qu’à Issy-les-Moulineaux, une école vient d’être construite en paille porteuse

Pourquoi ma maison à Paris n’est pas pareille que ton appart à Lille ou ton studio à Marseille ?

 

Être chez soi, c’est trouver sa place dans le monde. Et la ville, c’est l’ensemble des pierres que chacun.e des individu.e.s place autour de son corps et la surface minérale du sol qu’occupe l’ensemble de ces pierres. Au commencement, tout le monde a alors construit la même chose : un plafond pour se protéger de la pluie et quatre murs pour se protéger des intrus. Puis l’adaptation s’est faite selon l’expérience des générations, on l’appelle architecture vernaculaire, c’est-à-dire typique du lieu.

Depuis toujours, l’Homme a appris à construire selon les matériaux qui l’environnent. En Afrique, des villages entiers ont été conçus uniquement à partir de terre séchée, de boue et de paille, tandis que dans les Alpes, les maisons étaient faites majoritairement en bois. C’est aussi l’héritage d’une histoire de conditions climatiques et des besoins de s’aérer, de se refroidir ou de se réchauffer.

 

Aujourd’hui, avec la mondialisation, la disponibilité des matériaux a grandement varié mais a aussi vu décroître la quantité de certaines matières premières. Au-delà de revaloriser, il est grand temps désormais d’imaginer, inventer et tester de nouveaux matériaux. À vos ciboulots !

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Écrit par

Ségolène Montcel

Photos par

Victor Deweerdt
Marietta Varga

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Une réponse

  1. Bonjour, je suis étudiant en dernière année d’architecture, je trouve votre article très intéressant, y-en aura-t-il d’autres? Je savais pour le sable mais pas à ce point, ça fait réfléchir. Il faut aussi parler du fait que 90% des projets publics dans le monde sont réalisés par 10% des mêmes agences ce qui laisse peut de place finalement au nouvelles idées ou aux « petits » architectes. Vous pouvez également traiter du développement des villes non plus à l’horizontale ni à la verticale mais bien en profondeur ! Mais c’est un tout autre sujet! Bonne continuation.

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