20 octobre 2021

Avec la femme qui a mis des QR codes dans ta rue

Écrit par Simon Cherner

  Le temps d’un expresso

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Non, le QR code ne sert pas qu’à prendre des bières en terrasse. Il peut aussi donner accès au savoir et à la culture. Simon est parti à la rencontre de cette femme ingénieuse qui a décidé de mettre des QR codes sous les graffitis pour leur redonner une histoire. Dites adieu aux interprétations approximatives et aux Invaders qui n’en sont pas.  Grâce à son projet Scan Some Art, s’ouvre désormais à nous un musée à ciel ouvert en plein Paris. Et en plus, chose merveilleuse en cette presque fin de mois, c’est gratuit

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Avec son art urbain foisonnant, ses peintures murales irisées et les surprises de palettes et de pochoirs qu’elle déploie de rue en rue, la Butte-aux-Cailles est un microcosme à part dans Paris. Une véritable ménagerie, diraient certains, tant s’y succèdent les couleurs et les formes audacieuses d’un oiseau parachutiste, de lézards souriants agrippés dans le creux d’un panneau sens interdit, ou encore d’une énigmatique dame à la chevelure marine et aux pendeloques à hippocampes. Mystérieuse, cette jungle d’art, de ruelles et de pans de murs chargés de peinture a ses intimes, ses sherpas. Morgane Scozzesi est de ceux-là. Entourée d’une poignée de collaboratrices, elle entend mettre l’indéchiffrable à portée de toutes et tous.

graffiti_art_urbain_paris_QRcode_13eme

Porté par son association Scan Some Art, le projet éponyme doit faire éclore dans quelques jours à peine une floraison de codes QR colorés, apposés dans la Butte-aux-Cailles, aux côtés d’une sélection des d’œuvres d’art qui ornent les murs du quartier-village. Avec l’accord des artistes, le code scanné renverra vers une notule de présentation de l’œuvre sur la page Instagram de Scan Some Art : une manière de proposer une médiation culturelle gratuite et immédiate en pleine rue. L’idée s’était plantée dans la tête de la jeune femme depuis une poignée d’années déjà, à l’époque de sa découverte de ce coin perché du sud parisien, dans l’ouest du 13e arrondissement.

« J’ai emménagé à la Butte-aux-Cailles il y a trois ans, pour mes études, se souvient Morgane Scozzesi. Au bout du fil, sa voix chaude recompose une à une les étapes d’une prise de conscience culturelle. Au fur et à mesure de mes balades, je croisais des œuvres de street art partout dans le quartier. Mais quelque chose me peinait ; il n’y avait aucune information sur les artistes qui exposaient leurs travaux dans la Butte-aux-Cailles. Je ne savais rien des matériaux, de la signification de l’œuvre, ce genre de choses. »

 

Cette carence d’information refait surface le jour où elle doit monter un projet culturel pour son mémoire, à la fin de son parcours à l’Institut d’études supérieures des arts (IESA). Spécialisée en art contemporain et en marché de l’art, Morgane Scozzesi jette alors un regard nouveau sur cette friche culturelle particulière. Elle souhaite « installer des vecteurs de médiation dans la rue », trouver une manière de rendre cet art urbain, si hétéroclite et parfois si mystérieux, plus accessible à tout à chacun. Mais comment s’y prendre ?

Son idée s’avère à la fois simple et innovante. « Je voulais faire quelque chose qui sortait des cadres », évoque Morgane Scozzesi d’un ton assuré.

 

Et en ce début des années 2020, quel meilleur dénominateur commun que les smartphones, pour alpaguer le passant ?

 

Ce sera donc un système à double détente : des codes QR – désormais omniprésents dans notre quotidien depuis l’instauration du pass sanitaire – et Instagram. « Je suis partie du postulat que les jeunes générations avaient tout le temps leur téléphone à la main et qu’elles étaient tout le temps sur les réseaux sociaux », explique la fondatrice du projet. Elle observe la chose avec une simplicité franche : « On vit tous avec ;  je vois aussi des personnes de 50 ou 60 ans qui sont 24 heures sur 24 sur leur téléphone, dans le métro ou dans la rue !  », souffle-t-elle en rigolant.

 

Entre nouvelle application et nouveaux médias, Scan Some Art naît ainsi dans sa forme théorique, lors de sa présentation à l’IESA, en 2020. Emballée par le projet, Morgane Scozzesi décide de reprendre le fil de ses travaux une fois son mémoire en poche. Elle se résout à concrétiser réellement cette belle idée dont elle reste convaincue de la portée vertueuse. « Le rôle premier des QR codes c’est d’informer le public le plus large possible, dont les personnes qui n’ont pas l’habitude d’aller dans les musées », défend-elle. Une inconnue de taille se dressait soudainement au-devant du projet : et si les artistes ne souhaitaient pas faire connaître leur art de rue ? Historiquement, le street art a fui les lieux d’exposition traditionnels presque autant que les institutions ont fait la moue à sa vue. Et effectivement, la question n’a pas manqué de préoccuper la créatrice de Scan Some Art.

« Quand j’ai lancé le projet, j’étais un peu dans une utopie. Je me disais que c’était super, que ça aiderait les artistes à gagner en visibilité. Et puis j’ai eu peur que l’anonymat du street art ne l’emporte sur cette mise en avant. » Heureusement, les craintes se sont avérées en majeure partie infondées. « Sur la quinzaine d’artistes que j’ai contactés, il n’y en a que deux qui m’ont dit non, raconte Morgane Scozzesi. L’un d’eux – et je le comprends tout à fait – m’a expliqué qu’il trouvait l’idée du projet très sympa, très cool, et que c’était une bonne initiative. Mais il souhaitait garder l’aspect mystérieux de son art livré à la rue et laisser le public se poser des questions. » Quant aux autres artistes, certains avaient déjà eu l’occasion de travailler avec des galeries alternatives, des tattos-shop ou des magasins, et n’ont ainsi pas refusé l’aventure numérique qui se proposait entre la rue et la toile. Un soulagement certain pour la cheffe de projet. « Les mœurs ont évolué ; la pratique du street art n’est plus en contradiction avec le fait d’exposer, se réjouit la spécialiste en art contemporain. Ça m’a conforté dans mon idée que le projet de QR codes n’était peut-être pas si loufoque que ça ! »

 

En cours de finalisation depuis le printemps 2021, les codes QR Scan Some Art devraient enfin apparaître à la Butte-aux-Cailles dans quelques jours. Les artistes au programme ? Louyz, Esboner, Wild Wonder Woman, The End of Animals, Wekup, … Un lineup curaté par Morgane Scozzesi, selon les disponibilités des créatrices et des créateurs, mais aussi de ses propres goûts. Impossible, ainsi, de faire l’impasse sur les productions marines de Teuthis : « C’est un artiste havrais que je suivais depuis longtemps, que j’ai retrouvé à la Butte-aux-Cailles et dont les œuvres me fascinent, détaille-t-elle avec passion. Il a fait des études de biologie marine et il représente presque à l’identique des poissons, des crustacés, beaucoup d’espèces de manière très précise, avec des formes géométriques. Ça m’a beaucoup intéressé et j’ai voulu en voir plus, toujours plus, encore plus… » 

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Autre découverte de la fondatrice du projet : Demoiselle MM. « J’ai trouvé que, d’un point de vue graphique et esthétique, ce qu’elle faisait sortait de ce que l’on pouvait voir dans la rue. C’était très original. » Et pour cause, ses femmes, tantôt à cornes, tantôt à méduse, toujours peintes de face ou de trois quarts, rappellent des versions contemporaines des portraits de Gustav Klimtou d’Alphonse Mucha, chargées de fantastique, de rêverie et de couleurs. « Elle m’a parlée de son travail, poursuit Morgane Scozzesi. Elle essaie de rendre hommage à chaque fois à une figure féminine, qu’elle ait existé ou non : Frida Kahlo, un personnage de la mythologie grecque, … Ce qui m’a marqué dans son travail, c’est qu’elle essaie de créer un lien entre le personnage féminin représenté, son histoire et la rue dans laquelle elle va mettre son collage. » Une belle rencontre, en somme. Du genre de celles qu’elle espère provoquer dès les prochaines semaines entre les mains et les poches des passants connectés de la Butte-aux-Cailles.

Écrit par

Simon Cherner

Photos par

Le poisson : Teuthis
La femme à la coupe marine : Demoiselle MM
Le lézard : Louyz
et les deux filles : Wild Wonder Woman

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2 réponses

  1. Mais c’est une superbe idée !! Vite vite allons à la butte aux cailles et j’espère vite une généralisation !!!

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