19 février 2022

« L’humour, avec la bouffe, c’est ce qui nous réunit le plus ! » – Klaire fait Grr

Interview par Juliette Mantelet

Le temps d’un allongé

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J’ai commencé 2022 avec éclat en me rendant, six jours après le nouvel an, au spectacle de Klaire fait Grr, Le Temps des Sardines, mis en scène par Karim Tougui. Je n’avais aucune idée de ce à quoi m’attendre, et j’avoue que la bande-annonce loufoque du spectacle, annonçant un spectacle « à peu près musical » et des « chansons pas chantées », « entre le pas-concert et le pas-seule-en-scène » ne m’avait pas vraiment aidée à mieux cerner ce que j’allais voir. Je n’avais en tête que ce nom de scène un peu étrange, Klaire fait Grr, et les mots enthousiastes de mon frère au moment de m’offrir ce cadeau : « Dès que j’en suis sorti je me suis dit qu’il fallait absolument que tu ailles voir ça ! Et amènes-y une amie féministe. ». Lui-même s’y était rendu quelques semaines plus tôt et déjà, le bouche à oreille faisait son effet. Ça sentait plutôt bon.

 

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Jeudi soir de janvier, je me suis donc rendue accompagnée d’une de mes meilleures amies au spectacle de Klaire, dans le petit théâtre de la Comédie des 3 Bornes, et on a passé une soirée fantastique, inattendue. Klaire fait rimer les mots comme personne, elle a une voix absolument irrésistible, veloutée, qui énonce avec douceur des textes percutants et si justes, qui parlent aussi bien de coming-out que de grossophobie, de culture du viol ou de #metoo avec des refrains qui booment longtemps dans la tête. On rit, on pleure, on s’indigne, on sourit, on a la rage, et surtout on partage toutes ces émotions avec la salle qu’on sent pleine de bienveillance et surtout à peu près du même avis que nous sur à peu près tout. Klaire, accompagnée de la rigolote Odile Huleux au piano, mêle comme personne un humour fou et spontané, des thèmes ultra engagés, un charme décoiffant avec ses bottes roses et son grand sourire, et une subtile haine pour Gérald Darmanin. On est ressorties avec un sourire jusqu’aux oreilles et une envie féroce de refaire le monde. Et avec déjà une seule idée en tête : parler à tout le monde de ce spectacle. Dans la rue en sortant, j’ai dit à mon amie en parlant de Klaire, « Tu vois, ça, c’est le genre de personne avec qui j’ai envie d’aller boire des bières ». À défaut, je lui ai proposé une interview au théâtre, un mois plus tard. J’ai commencé l’interview comme ça, candide :  « J’ai tellement aimé le spectacle, que j’ai eu envie de t’interviewer ». C’était le coup de cœur, le vrai, évident. On a débattu toutes les deux, assises dans les fauteuils du théâtre vide, de l’importance des petits mots, de l’humour engagé, du féminisme et des chansons, définitivement pas chantées. Pour les amoureux.ses des mots, impossible de passer à côté de Klaire.

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Commençons par le commencement, pourquoi Klaire fait Grr ? 

 

Klaire avec un K c’est juste venu de l’Internet du début, avec les forums et tout… J’avais beaucoup fait ça d’utiliser Klaire avec un K comme pseudo, parce que comme ça c’était moi mais ça n’était pas complètement moi non plus. La question de pourquoi Klaire fait Grr revient souvent, mais en fait la réponse est nulle (rires). J’ai choisi très vite ce pseudo, à l’époque où j’ai ouvert un blog, en 2008 ou 2009, et à ce moment-là, je n’avais aucune idée de ce que ça allait devenir, on pensait qu’Internet ne marcherait jamais. Je n’avais aucune idée que ça deviendrait mon nom de scène, mon nom d’autrice… Mais c’est marrant parce que du coup, j’ai dû me demander ce qui me définissait le mieux. Et ça devait être le fait d’être en colère ou d’être ronchon, donc Klaire fait Grr. Ça marche bien quand les gens me connaissent déjà, mais quand c’est la première fois que les gens lisent mon nom, bon… C’est mon nom de scène, donc je ne me vois difficilement en changer, mais c’est vrai que c’est rigolo parce que c’est très daté. C’est comme un tatouage dauphin. Je suis de cette génération-là, où on prenait des pseudos sans vraiment y réfléchir, comme si ma première adresse mail était restée mon adresse mail aujourd’hui. 

 

Comment tu définis ce que tu fais ? De l’humour, des chansons ? 

 

Pour moi mon métier c’est d’écrire. Je gagne ma vie comme ça depuis dix ans et en dix ans, j’ai joué avec pas mal de supports différents, un peu au hasard des rencontres. J’ai fait des chroniques pour la presse qui sont des formats plutôt classiques, que j’aurais pu faire il y a trente ans même sans Internet, j’ai fait un programme court pour France TV, j’ai fait des bouquins d’humour, j’ai fait des podcasts, du spectacle. Le dénominateur commun, c’est d’avoir toujours envie d’ouvrir ma bouche sur ce monde. Et d’avoir des trucs à raconter, apparemment. Mais surtout de les raconter à ma façon. Et ma façon il s’avère, sans que ça ne soit vraiment un choix de ma part, qu’il y a toujours une forme d’humour dedans, parce que ça fait partie de moi et que je ne sais pas faire autrement et qu’en plus ça plaît aux gens donc je n’ai pas de raison d’aller contre. Et avec souvent un fond d’engagement, peu importe le média. Il y a des supports qui sont arrivés par le hasard des rencontres, et d’autres, comme ce spectacle, qui sont plus le fruit d’une longue histoire et d’une longue réflexion.

“ C’est presque politique aujourd’hui de dire que tu vas te mettre dans ta zone de confort et que non, en fait, on n’a pas besoin d’être violent envers nous -mêmes ”

Parle moi du spectacle justement, Le Temps des Sardines.

 

Ce spectacle, quand je l’ai créé, j’ai eu le sentiment que c’était la première fois que je faisais vraiment ce que je voulais faire moi. C’est moi qui avais vraiment décidé, ça n’était pas parce que j’avais rencontré quelqu’un qui m’avait proposé de le faire, comme ça a été le cas pour le podcast avec Arte Radio. J’avais déjà fait un peu de scène parce que pendant trois ans j’avais joué Chattologie, mais à l’origine c’est Louise Mey, la fille qui l’a écrit, qui m’avait proposé de l’interpréter. J’étais très contente de le faire, et je me suis approprié le texte, mais ça ne venait pas de moi. Le Temps des Sardines est né du fait que j’ai toujours aimé écrire sous la forme de chansons, mais que je n’en ai jamais rien fait puisque je ne suis ni chanteuse, ni musicienne

 

C’est de là que sont nées les « chansons pas chantées » ?

 

Oui, l’envie devenait de plus en plus forte et de plus en plus réelle, j’ai fait des stages, des ateliers d’écriture, pour voir jusqu’où cette envie m’emmenait. À un moment j’ai hésité, en me disant que je pouvais prendre ce truc de chansons au sérieux, avec cinq ans de cours de chants intensifs, en me faisant violence pour monter sur scène et chanter, et en me disant que peut-être j’allais y arriver. J’étais un peu partie pour faire ça en fait, mais heureusement, à ce moment-là les théâtres ont fermé, et tout s’est arrêté, et les projets ont pris le temps de mûrir. Et je suis très contente que ça soit arrivé à ce moment-là de ma réflexion. Avec le temps, j’ai eu comme une épiphanie de me dire que j’allais complètement garder la forme d’une chanson, avec ce truc que j’aime moi des rimes, des refrains, de cette structure-là, de répétitions et de formes courtes, mais en les parlant sur de la musique. Et quand j’ai eu cette idée là, ça m’a enlevé un poids énorme. Finalement, ça crée une singularité qui fait un peu peur aux gens avant de venir, parce qu’ils ne savent pas trop à quoi s’attendre, mais qui est cool. J’ai l’impression qu’au bout de cinq minutes les gens ont compris, et qu’ils ne se posent plus du tout la question de si c’est chanté ou pas chanté. Il y a autre chose de très important, c’est que c’était ma zone de confort à fond de faire ça. Même Chattologie, j’ai adoré le faire mais il y avait un côté sacrificiel, où je le faisais pour la cause. J’aime ce texte, j’aime ce sujet, j’ai envie de le faire mais c’est un peu une violence pour moi. Alors que là, le fait que ça soit sous cette forme-là, moi ça me rassure énormément, donc ça n’est pas du tout le même risque, et je crois qu’en fait c’est vachement important dans une époque où on nous dit tout le temps de sortir de notre zone de confort, d’être efficace etc… C’est presque politique aujourd’hui de dire que tu vas te mettre dans ta zone de confort et que non, en fait, on n’a pas besoin d’être violent envers nous -mêmes. Au contraire, on peut se mettre bien, et se bien traiter.

“ Ça me parle beaucoup plus une chanson d’amour avec le champ lexical du McDo, que de faire rimer éternité

Qu’est-ce que tu aimes particulièrement dans cette forme de la chanson ? 

 

Je crois que j’aime bien les cadres, paradoxalement. J’ai souvent plein d’idées, plein d’envies, et le truc complexe, c’est de savoir quelle est la bonne forme. J’aime bien le cadre de la chanson qui te contraint à faire quelque chose d’assez court, où tu es obligé d’aller droit au but, de bien choisir tes mots. Et les rimes, les alexandrins, les pieds créent quelque chose de physiquement jouissif chez moi. C’est comme si j’étais une fausse littéraire qui a besoin d’une forme mathématique pour que ça sonne encore plus. J’ai aussi une culture de chansons qui n’est pas forcément ce qu’on appelle les « grands textes ». Il y a ce truc avec Renaud ou Anne Sylvestre, de dire parfois des grandes choses ou des belles choses, mais avec des petits mots. J’adore ça. Je trouve ça beaucoup plus fort et puis c’est moi. J’aime bien dire que oui, on peut faire de la poésie ou de la chanson, ou des romans mais avec des petits mots. Moi, ça me parle beaucoup plus une chanson d’amour avec le champ lexical du McDo, que de faire rimer éternité. 

 

C’est quoi les petits mots ?

 

Les petits mots, c’est ceux du quotidien, ceux qui ne se la racontent pas. Je trouve ça plus parlant. Si tu dis amour, éternité, nana nana, ça ne parle pas trop. Alors que ne plus entendre le bruit de quelqu’un qui ronfle à côté de toi, je trouve que c’est une image qui parle beaucoup plus à tout le monde. Ou savoir si la personne à côté de toi, tu aimes son ronflement ou tu n’en peux plus, ça raconte finalement plus de choses.

 

Et qu’est-ce que tu aimes dans l’usage des refrains ? 

 

Les refrains sont là pour que tu les retiennes, et pas seulement pour que tu aies un souvenir du spectacle, mais pour qu’ils restent dans ton imaginaire, qu’ils continuent à vivre. Dans ma chanson sur #metoo, par exemple, il y a une importance d’autant plus forte à avoir un refrain, comme je parle d’un truc qui revient systématiquement, qui est lancinant… Même si j’aime aussi les chansons plus légères, ou le refrain peut prendre un autre sens, éclaircir quelque chose.

Ce que tu fais sur scène, c’est du militantisme ?

 

J’ai toujours peur de ne pas être une assez bonne militante. Parce que je vois toujours tout ce que je pourrais faire de plus, et que je me sens déjà un peu usée, lassée, blasée de comment les choses ne changent pas assez, pas assez vite, de tout ce qui resterait à faire… Et des fois je me dis, « écoute chacun fait aussi avec ses armes ». Et il y a des gens dont les armes vont être de réunir plein de gens dans une manif, ou de savoir prendre la parole en TV, comme l’intervention de Titiou Lecoq la semaine dernière qui a beaucoup tourné. Moi je ne serais pas capable de le faire, je n’aurais pas les bons mots, les bons arguments. Elle écrit des super bouquins, elle est capable d’aller les défendre et tout, et ça c’est un militantisme dont je n’ai pas la compétence, mais ce n’est pas grave. Ma compétence à moi, c’est de choisir mes petits mots, de leur donner du sens et de faire ça dans un petit spectacle, avec des émotions qui se partagent. C’est un tout petit cailloux dans la liste des choses à changer, mais après tout je me dis que si chacun met son petit cailloux… Donc oui il y a du militantisme, il n’y en a jamais assez à mon goût, mais en même temps on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre.

 

 

Comment tu doses justement ?

 

J’aime bien que ce militantisme ne se voit pas, pas forcément. Même si ça ne va pas m’empêcher d’écrire une tribune enragée ou 100% vénère. Mais dans ce que je construis artistiquement, j’aime bien que tu ne le vois pas forcément venir, que ça puisse s’instiller dans le cerveau des gens, et même dans le cerveau des gens qui ne sont pas forcément convaincus d’avance. Et notamment par le biais d’histoires racontées, comme pour ma chanson sur #metoo. J’ai vu avec le spectacle Chattologie, que quand tu es très cash sur ton sujet c’est super, et je pense qu’il y a aussi besoin de ça, mais ça a tendance, et c’est le danger, à ne convaincre que des gens qui sont déjà convaincus. On a vu avec Chattologie combien c’était difficile de vendre des dates de tournée, parce qu’en fait les gens ne veulent pas programmer ça. Ils sont très contents que ça existe, mais pas chez eux. Du coup, il faut des Chattologie, du frontal, du cash, mais on peut aussi essayer de changer le monde par la fiction, d’un peu plus loin. Il y a des romans aussi qui vont contribuer à ça.

 

Tu aimerais qu’on amène des gens à ton spectacle qui ne sont pas du tout féministes ? 

 

En étant honnête, si j’ai en face de moi un public de vieux mecs blancs boomers de droite, je ne vais pas passer un bon moment (rires). Mais je vois par exemple qu’il y a des gens dans la salle qui ne sont pas mon public cible, parce qu’ils ont plutôt l’âge de mes parents, et souvent quand on les entend papoter, c’est leurs enfants qui leur ont offert des places. C’est une volonté de la part des enfants de se dire, « bon, mes parents sont capables de comprendre ça », et que ça va aussi les titiller, leur faire comprendre le monde dans lequel on vit. Ça veut dire que tout n’est pas perdu non plus et que tout n’est pas à jeter sur les générations plus âgées. Mais c’est toujours compliqué de trouver le juste équilibre dans un public, de gens pré-convaincus et de gens à convaincre. Parce qu’en vrai quand t’es sur scène, si tu n’es que face à des gens à convaincre…

 

C’est vrai que là on a l’impression de partager une énergie commune avec le public, c’est sympa. On partage des choses.

 

Eh bien si j’arrive un jour à faire ça devant une salle de 1 000 personnes, c’est cool. Ça voudra dire aussi qu’on a les deux, qu’on peut mettre de la beauté, de la drôlerie et du sens et du fond, et de la colère, et que tout peut cohabiter. Parce que je ne suis pas en colère 100% du temps, et je ne demande pas aux gens d’être en colère 100% du temps, sinon on ne peut pas vivre tous ensemble.

“ L’humour, avec la bouffe, c’est ce qui nous réunit le plus ! ”

Quelle est la force de l’humour comme arme féministe ?

 

On sait depuis des centaines d’années que l’humour est un truc qui rassemble. Et qui du coup convainc. C’est avec la bouffe, peut-être, le truc qui nous réunit le plus. Sur cette question de l’humour et du féminisme, j’espère que c’est une preuve parmi d’autres que c’est absolument possible. Et que la question n’est pas du tout là où on essaie de nous faire croire qu’elle est. Je pense qu’il peut y avoir de l’humour et qu’on peut parler de viol dans la même chanson. Et c’est ce que j’essaye de faire. La question, ça n’est pas que ça ne peut pas cohabiter, c’est de quoi on rigole et de qui on rigole. Quand Jean-Marie Bigard, il fait des blagues sur le viol et in fine rit des victimes de viol, ce n’est pas drôle du tout, et ça alimente la culture du viol. Mais tu peux faire un truc drôle autour de ça qui vise les bonnes personnes. Si tu arrives à viser juste ça peut être extrêmement drôle, si tu arrives à tourner en bourrique et mettre en boîte les gens qui alimentent la culture du viol. Mais c’est vachement dur en fait, c’est extrêmement subtil, et c’est ça le truc, c’est juste que les mecs ils ne taffent pas.

 

Tu n’as jamais eu peur alors de t’attaquer à ces sujets-là avec humour ?

 

Je trouve que le format de la chanson est cool parce que ça n’est pas du stand-up non plus, je n’ai pas besoin de faire une punchline, un rire. Je ne saurais pas faire un spectacle de vannes féministes, je ne pense pas que j’y arriverais. Ce que j’arrive à faire, j’espère, c’est de jongler avec l’humour, avec la colère, et d’autres émotions plus douces ou plus tristes. Et de jongler avec tout ça, parce qu’on est tout ça. C’est ça que j’aime aussi avec ce format, c’est que je ne cherche pas les rires ou les pleurs ou que les gens foutent le feu, mais on partage tous ces trucs là. C’est un panel d’émotions où elles peuvent se mélanger et cohabiter. Et il y a parfois des réactions étonnantes, où je dis un truc hyper trash et tu entends un rire dans la salle.

 

D’où est né ton amour pour la scène et l’humour ?

 

Après le bac j’ai fait une école de théâtre, parce que je voulais devenir comédienne. Parce que je croyais qu’être comédienne c’était jouer Phèdre, pieds nus, à la Comédie Française. Et j’ai mis longtemps à comprendre que c’était les textes, surtout, qui me faisaient vibrer. La tragédie, quand tu as 18 ans, et que tu n’es que colère bouillante, il n’y a que ça comme mots qui est à la hauteur de ce que tu ressens. Quand j’ai compris que la réalité, ça allait être de se taper les unes sur les autres pour avoir le droit de décrocher un casting pour avoir deux phrases dans Plus Belle La Vie, j’ai su que c’était impossible pour moi de faire ça. Je n’avais aucune confiance en moi. Mais j’ai quand même fait trois ans d’école de théâtre, avec ce goût pour ce qui se passe sur scène, parce que c’est quand même unique ce truc du spectacle vivant, de l’instant. C’est un danger permanent, avec le risque à chaque fois que la magie ne prenne pas. Et ça a été mon premier rapport à la scène. Et pour l’humour, en fait, je ne me suis jamais considérée comme quelqu’un qui faisait de l’humour, c’est les autres qui m’ont renvoyé ça. La preuve, quand j’ai trouvé un nom pour mon blog j’ai appelé ça Klaire fait Grr, pas Klaire fait des blagues… Pour moi j’allais écrire juste des trucs en colère, des coups de gueule. Moi ça me fait hurler de rire quand je vois des gens dans des articles dire que je suis humoriste. Il y a de l’humour dans ce que je fais, des fois, mais en tout cas je ne le cherche pas. Je n’essaye pas, et ça je pense que c’est le meilleur conseil à donner à quiconque, parce que chercher à être drôle, c’est casse-gueule. Moi j’essaie de dire ce que j’ai à dire et après la forme vient assez naturellement, de mon éducation d’oreille, qui fait que je ne sais le dire que comme ça. Ce n’est pas un hasard si j’ai fait ce podcast sur Renaud, c’est une écriture qui m’a énormément marquée dans ma façon de raconter les choses. Renaud, jusqu’à il y a dix ans c’est ça, une façon de raconter les choses avec de l’humour, avec de la tendresse, avec de la colère des fois et un vocabulaire propre, avec des petits mots.

 

Est-ce qu’il y a une certaine solidarité avec la scène actuelle de l’humour engagé ?


Je connais très peu le milieu de l’humour. J’y suis arrivée par hasard parce que je devais jouer Chattologie deux fois dans un festival, et que l’équipe qui reprenait la salle de la Comédie des 3 Bornes à ce moment-là en a entendu parler et a appelé mon metteur en scène. Finalement on a donc été programmées au 3 Bornes, ça s’est très bien passé, on a fini par jouer trois fois par semaine, puis au Café de la Gare et à Avignon… Mais c’est ce hasard qui m’a fait me retrouver dans un univers de gens qui faisaient de l’humour, mais que je ne connaissais pas du tout. Je continue d’en fréquenter assez peu parce que je suis quand même assez souvent déçue du fond du propos. Il y a eu une mode du stand-up, et tant mieux parce que ça fait revenir les gens dans les salles de théâtre et ça les désacralise. Des gens qui ne seraient jamais allés au théâtre parce que c’est un truc bourgeois, blanc, qui peut te repousser si tu n’as pas les codes, très élitiste. Le stand-up et l’humour ont ramené des gens dans les salles et ça, je trouve ça génial. Mais des fois j’ai du mal à comprendre des gens qui montent sur scène et qui n’ont pas grand chose à dire de leur vision du monde, ou d’histoires à raconter. Du coup j’ai souvent trop peur d’être déçue et je ne vais pas voir grand chose. Mais par contre, quand c’est bien fait et que le fond est à la hauteur, je suis très heureuse. Il y a Laurent Sciamma, par exemple, qui joue dans le même théâtre, que j’ai découvert en jouant ici, que j’ai beaucoup croisé. On s’entend très bien et on parle beaucoup de cette question de l’humour. Lui est beaucoup plus renseigné que moi et regarde tout ce qui se fait. Lui, Laurent, il fait ça, il arrive à faire mourir de rire des gens en parlant de combats féministes. Et ça c’est brillant. Mais ils ne sont pas légion.

 

C’est déjà un choix, alors qu’il y a le monde qui brûle et Gérald Darmanin, de faire des blagues sur les véganes…

Aujourd’hui, l’humour se doit donc d’être engagé ? 

 

Après, on peut voir de l’engagement dans plein de choses. Ça n’est pas juste d’agiter des pancartes. Apporter de la beauté dans un monde hardcore, c’est aussi de l’engagement. On a besoin de beauté, on a besoin d’amour aussi. On nous balance de la haine en permanence, donc juste apporter de la beauté, de la connaissance… Un spectacle qui va te raconter ce que c’était que telle révolution dans un pays arabe, c’est génial. Changer ton point de vue, excentrer les histoires… Il y a parfois de l’engagement dans des choses qui peuvent paraître anodines. Je ne dis pas que l’humour doit être absolument un brûlot pour que ça soit utile. Par contre, c’est vrai que les blagues sur les trottinettes et les véganes, moi je n’en peux plus. Parce qu’en fait c’est politique de faire ça, c’est un engagement. C’est un contre-engagement de merde. Et si vraiment tout ce que tu as à dire c’est de chier à la gueule des véganes, dire qu’ils mangent des graines, on n’est pas du tout d’accord. C’est triste et ça ne fait pas avancer le monde. Alors qu’un spectacle comme Les Chatouilles, par exemple, sur la pédocriminalité, c’est hyper dur, mais ça n’est pas non plus un étendard ou une proposition politique. Mais donner cette histoire à voir, ça fait avancer le monde. Je pense qu’il y a une espèce de faux-neutre dans l’humour, où l’on fait croire que raconter des blagues sur les véganes et les trottinettes, c’est neutre. Mais ça ne l’est pas. C’est déjà un choix, alors qu’il y a le monde qui brûle, l’apocalypse climatique et Gérald Darmanin, de faire des blagues sur les véganes. Monter sur scène, c’est une responsabilité. Tu considères que ta parole doit être entendue et que les gens doivent donner de l’argent pour ça, donc il faut réfléchir.

 

En parlant d’actualité, comment accompagner la campagne présidentielle en tant qu’artiste ?

 

Le problème, c’est que ça m’inspire d’abord un grand désespoir. Et au sens littéral du terme de manque d’espérance et c’est dur, parce que ça tait mes mots. C’est ça qui est en train de se passer que je trouve le plus puissamment violent, c’est que c’est tellement absurde de voir les débats se porter sur « est-ce que c’est la faute des arabes ou la faute des pauvres ? », que ça me laisse coite. Mais, je vois des plus jeunes qui ont de la force et la foi de se battre, et c’est le seul truc qui me redonne de l’espoir, de voir des nanas péter le game et ne plus en avoir rien à faire des injonctions et des limites qu’on leur a collées. Je n’ai pas de chanson précise, spécifique, sur ce qui est en train de se passer, parce que j’ai essayé de décoller de l’actualité trop chaude et de me placer dans une vision avec quelques pas en arrière. Mais aussi, parce que je vieillis et qu’honnêtement, je ne me sens plus en première ligne du front. Je pense que je vais plutôt passer cette période pré-électorale à donner la parole et à partager les paroles prises par d’autres gens. Et je pense que mon rôle sera de plus en plus là de toute façon, d’accompagner les autres, de soutenir d’autres paroles. Il y a ce spectacle que fait Guillaume Meurice le soir des élections, pour lequel je vais écrire un texte, mais j’ai du mal à tout dire dans une chanson. Et à me dire qu’une chanson va apporter quelque chose. Mais en même temps, je sais qu’on a besoin de trucs comme ça, parce qu’on est tellement nombreux.ses à être dans la même sensation, de « mais qu’est ce qui se passe, mais qu’est-ce qu’on fait »… Peut-être que ça viendra sur cette énergie-là de « ok qu’est-ce qui nous ferait du bien là, pour se reconnecter ensemble ». Parce qu’au final le seul truc qui nous reste c’est d’être nombreux, nombreuses, et d’être ensemble.

 

Comment vois-tu la suite ?

 

Pour la suite, ce qu’on aimerait vraiment beaucoup c’est faire des dates de tournée avec le spectacle. Aller jouer partout, parce que je vois bien que les gens sont dégoûtés qu’on ne joue qu’à Paris. Il faut expliquer aux gens que ça n’est pas nous qui ne voulons pas y aller, c’est juste qu’il faut que le spectacle continue de marcher, qu’il marche de plus en plus et qu’en marchant de plus en plus ça intéresse des programmateurs qui viennent nous voir et qui nous programment ailleurs. Mais nous on a qu’une envie, c’est de parcourir toute la France. La tournée c’est un truc humain très chouette à vivre en plus. J’ai aussi comme projet d’écrire un livre d’ici l’été, dont je ne peux pas du tout encore parler encore, et des pièces de théâtre. Écrire plus de chansons. Écrire pour d’autres, si l’occasion se présente. Mais je me sens plus à l’aise dans cette position-là qui n’est pas à chaud dans l’actualité, un tout petit peu en décalé. Et dans quelques années, j’aimerais faire de la production. D’ici cinq ou dix ans, il y a des chances que je me sente moins légitime à prendre la parole sur le monde, je me verrai aussi vieillir, et avec un peu de chance j’aurai plus de sous et de visibilité qui feront que je pourrais mettre ça au service d’autres, de jeunes femmes et d’aider à ça…

Les coups de <3 de Klaire fait Grr

 

  • Chavirer de Lola Lafon. C’est une histoire qui parle de violences sexuelles sur mineures – je préfère prévenir – mais par la force du roman, et d’un beau roman. Je crois qu’il est crucial d’empiler toutes les briques sur ce sujet : du journalisme, du militantisme, du témoignage, et aussi… de la fiction. Qui a sa propre force. Par ailleurs, j’aime le female gaze de ce roman, c’est-à-dire que je me suis sentie en sécurité dans le regard de l’autrice, elle prend soin de ses personnages. Ça parait très abstrait, dit comme ça, mais en fait on est tout simplement en confiance.

 

  • Jungle, le premier court-métrage de la réalisatrice de 25 ans Louise Mootz. C’est un portrait d’une bande de jeunes filles dans la capitale, de Belleville à Stalingrad. Elles rient, exultent, ragent, parlent sexe, drogue, violence. Le film n’est plus en accès libre mais le premier mois d’abonnement sur la plateforme de diffusion n’est pas cher, et il y a d’autres pépites.
    https://www.on-tenk.com/fr/documentaires/jeunesse/jungle

  • Le film de Mediapart « Media Crash : qui a tué le débat public ? », que je n’ai pas encore vu, me parait d’utilité publique. C’est un film sur la concentration des médias privés. « Quelques industriels milliardaires, propriétaires de télévisions, radios, journaux utilisent leurs médias pour défendre leurs intérêts privés. Au détriment de l’information d’intérêt public. ». La puissance d’un Bolloré me fait rager à en pleurer, c’est sidérant d’avoir un tel pouvoir sur l’opinion publique. Et ça ne relève pas de la parano, en l’occurrence le soutien politique et la ligne de pensée est très claire, je pense que l’étape 1 c’est que tout le monde le sache.

 

  • Ta chanson préférée ? Je n’ai vraiment pas de chanson préférée, mais j’ai une petite playlist que j’écoute avant de jouer, qui me donne de la force. Dedans il y a la chanson Madame de Juliette, que j’aime beaucoup, je ne peux pas faire mieux que coller un extrait :

     « Je me permet de convoquer / Les quelques muses que je taquine
    J’en profiterai pour évoquer /Les éternelles pas féminines
    Les grosses, les moches mal fagotées /Qu’on voit pas dans les magazines
    Boulets des canons de la beauté /Les éternelles pas féminines »

    Elle me chauffe le cœur avant de jouer, parce qu’il y a ce que j’aime dedans : une sorte de câlin géant, avec de la rage sous les ongles et des mots qui riment. Moi ça me fait du bien.

 

  •  Et ta chanson pour surmonter la période actuelle ? Ah bah évidemment c’est Renaud qui chante « Corona… virus… connard de virus ». Nan, je déconne. Eh ben je ne l’ai pas trouvé, la chanson qui fait du bien dans cette période.  J’attends vos suggestions, sinon je vais être obligée de l’écrire…

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5 réponses

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Écrit par

Juliette Mantelet

Photos par

Klaire fait Grr

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