13 décembre 2021

Et toi, pourquoi tu bois ?

Écrit par Ségolène Montcel

Le temps d’un expresso

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L’alcool, élément éminemment social, qui sert tantôt de rite de passage, de créateur de lien, de produit relaxant, d’outil pour oublier, s’émanciper ou se désinhiber. Pourquoi se mettre à boire si ce n’est parce que tout le monde le fait ? Et le binge-drinking, cette pratique qui consiste à boire un maximum en un temps réduit, vous connaissez ? Aujourd’hui, il semble compliqué de dire que l’on arrête de boire en France sans créer la gêne autour de nous. Pourquoi est-ce l’abstinent qui devient l’anomalie ? « En voulant arrêter, inconsciemment, on tend un miroir à l’autre car on interroge aussi sa consommation. Tout d’un coup ça devient gênant », dénonce Claire Touzard, journaliste et autrice du livre Sans alcool. Alors, comment trouver la limite entre l’alcool festif et l’alcool maladif ? Comment savoir quand c’est le verre de trop

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“ Pourquoi est-ce l’abstinent qui devient l’anomalie ? ”

« L’alcoolique, c’est pas toujours l’autre »

Qui est alcoolique et qui ne l’est pas ? « On passe très vite du plaisir au médicament sans s’en rendre compte », alerte Claire Touzard, ancienne alcoolique, qui buvait quotidiennement et souvent seule au moins une bouteille de vin. « Je ne dis pas que tous les gens qui boivent sont alcooliques, je dis que bon vivant est un adjectif pratique que j’ai moi-même utilisé. » Selon elle, « bon vivant » serait un adjectif trop commode pour excuser sa consommation. C’est un fait, on ne se voit jamais alcoolique, d’ailleurs les médecins généralistes ne demandent jamais la consommation d’alcool lors d’un bilan médical. L’alcoolique, ce mythe, on se le représente comme un homme petit, trapu, poilu même, souvent sans emploi, abonné au PMU du coin et au pastis dès 9h du matin. Pourtant l’alcool a les mêmes effets que l’on boive de la piquette ou du bon vin. En France, la loi Evin de 1989, cadre la propagande et la publicité directe pour l’alcool, mais c’est sans compter sur les séries ou les films, qui ont énormément participé à la démocratisation de la prise d’alcool en solo. On pense notamment au personnage de Bree dans Desperate Housewives, Cersei et Tyrion dans Game of Thrones, Jules dans Cougar Town, Alicia Florrick dans The Good Wife et tant d’autres… Vous reprendrez bien la p’tite soeur ? 

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« L’alcool vous déconnecte de vous-même »

On ne vous apprend rien si on vous évoque le pouvoir de l’alcool : enivré, on se crée un personnage, surpuissant, super héroïque. L’alcool permet donc de se déconnecter de soi. L’envie de s’imaginer être quelqu’un d’autre revient d’ailleurs très souvent dans les témoignages d’Alcooliques Anonymes. Claire Touzard pointe du doigt le fait que l’on ait rendu « cool » l’alcool au point de s’imaginer que c’est une rébellion de boire, « alors que c’est l’inverse. La façon dont nous avons appris à boire jeune perdure dans la vie d’adulte. » Finalement si on comprend bien, quand on est cool on boit. Quand on ne boit pas, on fait rimer abstinent et chiant.

 

« Boire de l’alcool au déjeuner est une habitude incongrue pour la génération Z »

« En dessous de 35 ans, moins de 5% des Français boivent quotidiennement », nous apprend Jean-Victor Blanc, psychiatre et auteur de l’ouvrage Addicts : comprendre les nouvelles addictions et s’en libérer. Il poursuit d’ailleurs avec une anecdote concrète et amusante. Depuis l’élection du président Macron en 2017 et la prise de pouvoir de la République en Marche, mouvement connu pour l’inhabituelle jeunesse de ses membres, les boissons alcoolisées ne se vendent plus à la buvette de l’Assemblée Nationale. « Le chiffre d’affaires du limonadier de la Chambre basse a dégringolé.» Serions-nous plus sobres que nos chers parents ? Pas tout à fait…

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“ L’alcool, c’est une façon de rencontrer l’autre ”

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« Il serait inexacte de dresser le portrait d’une génération désalcoolisée »

Un tiers des français de 14-25 ans serait adepte du binge-drinking, s’y adonnant à un rythme mensuel. En médecine, comme nous le rappelle Jean-Victor Blanc, cette pratique porte le nom « d’alcoolisation ponctuelle importante ». Qui n’a jamais fait une soirée avec des ami.e.s où l’objectif était de boire toujours plus ? Que ce soit dans l’objectif d’être toujours plus désinhibé, dans un but d’approbation sociale ou simplement dans celui de sortir après en « étant bien ». « L’alcool, c’est une façon de rencontrer l’autre » explique Claire Touzard. Les jeux d’alcool se sont aussi diversifiés et multipliés ces dernières années. Dans les classiques Barbu, King, ou encore Beer Pong, l’alcool a toujours une place centrale et le jeu perd de son intérêt si on verse du sans-alcool. Le but étant de faire payer la perte d’un jeu par la prise d’alcool. Les conséquences ne sont pas des moindres, car s’il touche à l’ensemble des organes, c’est surtout au cerveau que cette prise intermittente d’alcool va faire le plus de mal. L’effet toxique du stress oxydatif cérébral est très sévère chez l’adolescent qui boit. « Les effets de l’acétaldéhyde au niveau de l’hippocampe, zone clé du cerveau concernant la mémoire, vont causer des black-outs mais aussi des difficultés d’apprentissage » alerte Blanc. Notre cerveau n’achevant sa maturité que vers la trentaine, il reste particulièrement vulnérable jusque là. La plupart des étudiants et étudiantes qui ont pratiqué le binge-drinking s’arrêteront ensuite mais subiront tout de même des conséquences telles que la dépendance à l’alcool, l’anxiété sociale ou les troubles du sommeil. « Bien entendu il serait hypocrite d’affirmer que tout binge-drinking est pathologique » reconnaît néanmoins le psychiatre Jean-Victor Blanc, puisque la plupart de ces épisodes de prises d’alcool en grande quantité diminuent avec le temps, l’âge et restent récréatives. L’alcool devient d’ailleurs par la suite plutôt un plaisir épicurien que l’on déguste. Néanmoins, il arrive, comme le souligne Claire Touzard en interview, que ces mauvaises habitudes de jeunesse persistent et que ce comportement devienne marqueur d’une souffrance physique réelle

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Vous imaginez si on nous vantait une boisson ou un plat pour redescendre après une prise de cocaïne ?

« Ça va, c’est pas une drogue dure »

C’est fou, parce qu’au moment où nous rédigeons cet article, nous recevions justement un communiqué de presse pour nous vanter les vertus d’une nouvelle boisson « anti-gueule de bois ». Le pitch ? « Pour permettre aux français d’éviter la fameuse gueule de bois, 2 jeunes entrepreneurs ont élaboré LA PREMIÈRE BOISSON ANTI-GUEULE DE BOIS. » Et on nous parle déjà de 100 000 bouteilles vendues. On se souvient aussi du livre de cuisine présent sur toutes les listes de conseils de cadeaux de Noël l’année dernière, Cuites. Où des chef.fes confient leur meilleure recette post soirées arrosées. Vous imaginez si on nous vantait une boisson ou un plat pour redescendre après une prise de cocaïne ? C’est peut-être là que ça se joue, avant même la prévention. Arrêter de vendre l’alcool comme s’il n’avait pas d’impact sur notre santé. Des pubs placardées partout à l’approche du nouvel an à la manière dont l’on présente les dégustations de vins comme une activité assez chic, et surtout très présente dans le monde professionnel. Pourquoi les pubs pour le tabac sont-elles strictement interdites, mais celles pour l’alcool simplement encadrées ? 

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« Ça paraît tellement central l’alcool et en fait ça ne l’est pas quand on l’arrête »

Sans alcool la fête est-elle vraiment plus folle ? « La sobriété est extrêmement agréable, c’est comme retrouver son cerveau ». Claire Touzard a le déclic d’arrêter de boire quand elle rencontre son compagnon Alexandre, sobre depuis 3 ans déjà. Le livre Sans Alcool est d’ailleurs aussi une très belle histoire d’amour autour de l’accompagnement vers la sobriété. Car rien ne paraît simple au début. L’alcool est partout, en famille, au travail, entre amis. Et puis, comme l’alcool est lié à la fête, à l’irrévérence, la peur d’arrêter est liée à celle de s’ennuyer. Comme le mentionne également souvent Jean-Victor Blanc dans son livre Addicts, l’alcool est très souvent associé à la créativité. « L’image d’Épinal du Français porté sur la bouteille est incarnée historiquement par des artistes comme Toulouse-Lautrec ou des poètes comme Baudelaire. » Parmi nos fiertés nationales portées sur la bouteille, on peut nommer Édith Piaf, Johnny Hallyday ou encore Alain Bashung, sans oublier Serge Gainsbourg. Dans les années 60, les Français consomment 26 litres d’alcool par an et par habitant, « ce qui les place en pole position mondiale des leveurs de coudes » peut-on lire dans Addicts. Aujourd’hui un Français sur dix boit de l’alcool tous les jours et 26% chez les 65-75 ans. « C’est dur de voir les dégâts que l’alcool fait dans sa vie », Claire Touzard évoque son long cheminement vers la sobriété. Ayant eu du mal à contrôler cet alcoolisme, elle reconnaît que sa sobriété peut paraître radicale, mais précise qu’elle a été salutaire. Pour la jeune femme, loin de l’image d’ennui de la sobritété versus l’alcool festif, cet état d’abstinence aiguise le cerveau et rend plus drôle. Elle évoque l’importance de montrer de nouvelles représentations puisqu’il existe une sobriété joyeuse et heureuse, « c’est subversif d’être sobre finalement. »

Petit témoignage de Juliette sur le Dry January :

« Quant au désormais célèbre, et lui aussi objet très marketing et commercial, Dry January, ou Défi de janvier, pour l’avoir expérimenté en France et en Angleterre, j’ai vite pu me rendre compte concrètement de la différence de consommation et surtout, de rapport culturel à l’alcool entre ces deux pays.

 

À Londres, malgré l’omniprésence de la bière et du cidre dans les pubs, je ne me suis jamais sentie bête à commander une boisson non alcoolisée, et les propositions de soft étaient plutôt nombreuses… Dans les pubs comme dans les supermarchés, où j’ai même pu trouver du vin sans alcool pour un dîner entre amis (en termes de goût, c’est vraiment pas fou, mais ça permet de faire comme si). À Paris, lors de mon expérience d’arrêter l’alcool pendant un mois, j’ai eu beaucoup de mal dans les bars à trouver des boissons de substitution intéressantes. Et rapidement, je me suis rendue compte que ne pas boire d’alcool lors de mes sorties entre amis signifiait payer un coca ou un cocktail de fruits ultra sucré, des boissons dont je ne raffole pas, plus cher qu’un verre de vin. Où est donc l’intérêt ? Et surtout, en France, j’ai eu beaucoup plus de mal à assumer de commander un soft, en étant la seule de la table. J’ai vu les regards étonnés des serveurs, et j’ai surtout dû, absolument à chaque fois, et peu importe avec qui j’étais, préciser pourquoi ce soir je ne buvais pas d’alcool. Alors, je mettais toujours en avant la question de la santé, qui clôt généralement le débat. Parce qu’à chaque fois que j’ai fait cette expérience, j’en ai ressenti les bienfaits sur mon corps, mon niveau de stress et surtout mon sommeil. Mais c’était fatigant socialement, et j’ai vite réalisé que sans véritable motivation, il était plus simple de prendre une bière, et de ne rien avoir à justifier. D’ailleurs, en France, cette opération “janvier sans alcool”, n’est pas soutenue par l’État, à l’inverse du gouvernement britannique. Et tout ça, sans parler du côté un peu fou d’avoir à transformer le fait de ne pas boire d’alcool pendant un mois en un véritable événement. »

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On vous présente les Red Flags, des questions qui invitent à faire le point sur sa consommation élaborée par Jean-Victor Blanc dans son livre. Si vous répondez positivement à plusieurs de ces questions, n’hésitez pas à prendre contact avec un professionnel. On vous invite à faire le test sérieusement et avec honnêteté : 

 

  • Avez-vous déjà ressenti une envie violente et irréversible de boire de l’alcool dans un contexte qui ne s’y prêtait pas ?
  • Vous mettez-vous régulièrement en danger lorsque vous buvez de l’alcool en grande quantité ?
  • Avez-vous des difficultés à contrôler le nombre de verres que vous buvez ?
  • Vous est-il déjà arrivé de boire seul.e autant que si vous étiez en soirée, parce que vous vous sentiez mal ?
  • Un proche s’est-il déjà inquiété de votre consommation d’alcool en soirée ?

En France, nous avons encore du mal à parler de limite pour l’alcool. Celui-ci étant encore trop souvent connoté positif et fédérateur. Aussi, dans un pays où le vin est élevé au rang de patrimoine, avec la baguette et le fromage, difficile d’aller à contre-courant et de ne pas lui faire honneur. Comme pour les questions environnementales, il faudrait arrêter de satisfaire les lobbies pour remettre la santé à la première place. Pour rappel, l’alcool constitue une des principales causes de mortalité évitable avec 41 000 décès par an en France. Dans un contexte où l’abstinent nous gêne, nous importune par son manque de folie et se retrouve stigmatisé, avons-nous réellement le choix d’être abstinents ? Buvons-nous par plaisir ou pour d’autres raisons ? Nous attendons vos commentaires et témoignages sur le sujet, et ce, sans modération. 

 

N’oubliez pas, vous aurez l’opportunité d’en discuter et d’en débattre à nos côtés jeudi 16 décembre avec le psychiatre et auteur du livre Addicts, Jean-Victor Blanc. On se retrouve à partir de 19h30 à la librairie Un Livre et une tasse de thé, bien sûr. 

Écrit par

Ségolène Montcel
Avec la participation de Juliette Mantelet

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