8 décembre 2021

On paye Netflix et Spotify,  pourquoi pas nos infos ?

Écrit par Ségolène Montcel

Le temps d’un expresso

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C’est la question que je me suis posée quand on a fondé Nous Fomo, média mais aussi agence éditoriale. Nous étions ravies de créer une agence pour mettre nos capacités de rédaction au service des autres mais la question subsistait : pourquoi aujourd’hui il n’existe pas de business model viable pour les médias ? Pourquoi le lecteur n’est-il plus prêt à payer pour s’informer ? J’en ai discuté avec Fabrice Rousselot, journaliste et directeur de la rédaction de The Conversation France. C’est lui qui m’a pointé du doigt l’erreur qu’ont fait les médias à l’avènement d’Internet en 1995 : se diffuser gratuitement. Car, Breaking news, le journaliste comme tout être humain doit se nourrir. L’information, de par les ressources mobilisées, le temps consacré et les outils pour diffuser, a un coût. Attention, je ne jette pas la pierre, je suis la première à pester et à quitter un article quand on me demande de m’abonner, à avoir l’impression d’avoir lu quand je me suis arrêtée au titre. Pourtant chaque mois, je paye Netflix, Spotify et Potager City pour me faire livrer des légumes, l’info n’est-elle pas assez nourrissante ? Aujourd’hui plus que jamais, il est temps d’en refaire un commerce essentiel.

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Les gens ne lisent pas moins, ils lisent autrement.

Fabrice Rousselot est directeur de la rédaction de The Conversation France. Diplômé du Celsa à la fin des années 80, il évolue dans un paysage journalistique très différent de celui d’aujourd’hui. Le journaliste passe une grande partie de sa carrière en tant que correspondant à l’étranger pour Libération avant d’en diriger le site web puis la rédaction. En 2010, il revient aux États-Unis pour faire à nouveau du journalisme de terrain. En 2015, il reprend et développe en France le projet australien de The Conversation, un média en ligne indépendant et gratuit qui met en lien journalistes et chercheur.ses. L’objectif ? Comme Nous Fomo, aller à l’encontre de l’info en continu. The Conversation éclaire l’actualité par une expertise fiable, fondée sur la recherche.

 

Si je vous dis « Les gens ne lisent plus », qu’en pensez vous ?

Les gens ne lisent pas moins, ils lisent autrement. Quand j’ai commencé le journalisme, on ne se préoccupait pas des usages, aujourd’hui ils ont complètement changé. Beaucoup de gens lisent sur des tablettes, et c’est super. Il faut arrêter de se mettre des limites, ce qui est important au delà de l’outil c’est le contenu. Peut-être que dans 10 ans on lira dans la paume de nos mains. À l’heure actuelle, 60 à 66% des jeunes générations consomment les informations via leur téléphone. Sur un téléphone, on peut lire, mais on lit plus rapidement, peut-être moins intelligemment car les informations se cumulent les unes derrière les autres. Et puis, toutes les informations ne se valent pas sur internet, alors comment les classer ? On constate une nouvelle attitude chez les lecteurs de 35-40 ans aujourd’hui : ils filtrent et sélectionnent ce qui les intéressent. Ce message là il faut le faire passer aux jeunes générations : reprenez le contrôle sur vos manières de vous informer. L’information brute, elle vaut zéro, il faut dire aux jeunes de passer du temps à analyser et décrypter l’info. Avec The Conversation, justement, on essaie de remettre les lecteurs et lectrices dans une lecture approfondie. 

 

Dans une interview, vous dites : « le lecteur est au centre de tout », qu’est-ce que ça veut dire ? 

Pendant trop longtemps les médias ne se sont pas préoccupés de leurs lecteurs et de leurs lectrices, ils les ont considérés comme acquis. Je trouve que le plus grand problème des journalistes et du journalisme en général, c’est qu’on se met toujours trop rarement à la place du lecteur. On n’écrit pas pour nous. On écrit pour le public. On est obligés de considérer les usages du lectorat. L’offre est tellement importante aujourd’hui que tout ce qui n’est pas de qualité, en termes d’écriture, de vidéo ou d’audio, n’a plus aucune chance. Il faut chercher à mettre en valeur le contenu un maximum pour qu’il soit lu ou apprécié par le plus grand nombre. 

 

Pourquoi selon vous n’existe-t-il pas encore de business model viable pour les médias ? 

On pensait qu’Internet allait provoquer une démocratisation des médias. En fait, c’est un peu le contraire qui s’est produit : au niveau des grands médias, on est sur un modèle de concentration. Il y a beaucoup moins de grands médias indépendants, ils appartiennent à des groupes, des personnalités ou des investisseurs. Pendant longtemps il n’y a pas eu de business model pour les médias en revanche ce qui est en train de se développer depuis une petite dizaine d’années ce sont des nouveaux modèles économiques. Par exemple, pour The Conversation le modèle est inédit. On a choisi de délivrer une information gratuite d’accès, mais il faut bien rémunérer les équipes, donc tous les The Conversation sont des associations à but non-lucratif. Ce sont des médias avec statuts d’associations. On a quatre sources de revenus :
– Les institutions et universités qui cotisent
– Les grands fondations internationales qui soutiennent
– Les projets avec des ministères sur des choses ciblées comme la Fête de la Science par exemple où l’on produit du contenu
– La campagne de dons auprès de notre lectorat qui représente 10% de notre chiffre d’affaires, ce n’est pas rien !
Internet a permis le développement de médias de niches qui inventent des modèles économiques différents, comme l’abonnement par exemple. Mais il en reste sûrement plein d’autres, ce qu’il faut, c’est réinventer ces modèles, innover pour valoriser notre métier

L’information, c’est comme tout le reste ce n’est jamais gratuit. Les gens doivent en prendre conscience.

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Pourquoi les lecteurs ne veulent pas payer pour du journalisme, comment leur faire comprendre que c’est important ?

Quand Internet est apparu on a mis du contenu gratuit sur la toile, donc toute une génération a été élevée au contenu gratuit. Si je rajoute à cela, le fait que sont arrivés dans le jeu les GAFAM, qui se sont mis à piller le contenu des médias et à les diffuser gratuitement sur leurs sites de news, toute une génération s’est dit : « Si je peux l’avoir gratuitement, pourquoi je payerais ? » Mais ces générations qui ont 40 ans aujourd’hui reconsidèrent ce paradigme. Surtout dans le contexte grandissant de la fake news. Lors de la pandémie notamment, on a remarqué une appétence plus forte pour l’information de qualité et l’expertise. On a constaté une remontée des abonnements numériques. L’information c’est comme tout le reste ce n’est jamais gratuit. Les gens doivent en prendre conscience.

 

Que pensez-vous de l’indépendance des médias et de la liberté de la presse aujourd’hui ?  

L’indépendance des médias et la liberté de la presse sont des éléments sur lesquels on ne peut pas transiger. C’est absolument indispensable. On se rend compte qu’il y a une énorme crise de confiance dans les médias aujourd’hui, il y a une défiance de la part du grand public, avec deux arguments mis en avant. Le premier est économique, et concerne l’indépendance financière des médias vis-à-vis de leurs actionnaires ou grands patrons, le second est politique. Chez The Conversation, nous mettons en avant le fait que nous n’avons aucun agenda politique. Nous mettons en avant des débats, des articles basés sur la recherche. Il faut qu’il y ait un énorme effort de la presse aujourd’hui pour justement témoigner de cette indépendance afin de renouer avec la confiance du public.
La liberté de la presse est quand même largement menacée, je ne prendrai qu’un seul exemple, celui des Etats-Unis pendant l’ère de Trump, qui faisait pression sur les rédactions et accusait les journalistes. Il ne faut jamais relâcher notre exigence par rapport à la liberté de la presse, c’est un pilier fondamental de la démocratie. 

 

Est-ce que ça se passe mieux dans d’autres pays ?

Souvent on cite les pays du Nord en Europe. Il y a une presse un peu moins marquée politiquement. Ce qui est important c’est qu’il y ait une pluralité de la presse, que différents points de vue soient exprimés et que les journalistes puissent exercer leur métier sans pression. Par exemple, la pression actuelle sur les médias turcs est effroyable, au Mexique des dizaines de journalistes sont tués tous les ans notamment pour avoir révélé la corruption au sein des appareils de pouvoir : c’est absolument inadmissible. Il faut qu’il y ait une mobilisation du public pour que cela cesse. 

 

Qu’est ce que la slow info pour vous ? 

C’est l’info qui donne à réfléchir. Ce n’est pas forcément 15 pages, ça peut être 3 pages qui permettent au lecteur de mettre en perspective des sujets, de se dire : “qu’est-ce qui est important ?” C’est indispensable face à ce rythme effréné des infos en continu où chaque info se vaut. La slow info c’est aussi le choix de quelle info on met en avant, le choix de l’angle et la possibilité de donner à mieux comprendre notre monde. Il y a des sujets, comme la santé en temps de covid par exemple, qui sont déterminants. On ne peut pas se permettre de les traiter seulement sous forme de brèves. Quels seront les effets du covid dans 10 ou 15 ans ? La slow info permet de mieux anticiper le monde demain. 

 

Avec Internet aujourd’hui, tout le monde peut-il faire du journalisme ? 

Est-ce que tout le monde peut faire du journalisme ? Non. Est-ce que tout le monde via les réseaux sociaux peut participer à la divulgation d’une info ? Oui.
Le rôle du journalisme est justement de décrypter cette information, de la mettre en contexte. Sur les réseaux sociaux, la source est aussi importante que l’information elle-même. Surtout en cette période de désinformation galopante comme je disais plus tôt. Aujourd’hui, il faut absolument vérifier les sources sur les réseaux : si elle vient d’un média sérieux, d’une personne individuelle, d’une personne individuelle qui traîne dans un milieu complotiste, si elle a été détournée… Au tout début d’internet on parlait de journalisme collaboratif : je suis tout à fait favorable à cela. Surtout au niveau local, quand les citoyens échangent des informations sur des projets urbains, des transports, etc. Après, au journaliste de mettre en contexte et de donner à réfléchir. Il y a un rôle pour le citoyen et un rôle pour le journaliste, cette collaboration est essentielle. Le métier du journaliste a une fonction : faire part de ce qu’il se passe. Cela veut dire aller dans des terrains lointains, là ou personne se trouve et raconter. Il faut que dans les écoles on forme à réinventer le journalisme de demain. 

 

Pourquoi mettre en relation des chercheurs et des journalistes ? Quel est l’intérêt ? 

Quand on est journaliste, on a une grosse frustration : on parle à des experts pour un sujet mais on en cite trois lignes. Il y a cette volonté de remettre au centre de la société les chercheurs et de rendre leur travail accessible. Notamment face à la désinformation. Tout le monde se dit expert de tout et de n’importe quoi. On partage le travail de la recherche parce que la recherche est importante aux grands sujets du monde. Moi je le dis toujours, c’est assez gratifiant de travailler pour The Conversation car j’apprends au moins une nouvelle chose tous les jours. Donc à mon âge c’est vachement bien, ça permet de garder une curiosité d’esprit. Sortons de la course à l’échalote qui est celle de l’époque, prenons le temps. Comme pendant la pandémie où il fallait sortir de la ville pour mieux respirer, avec la slow info, sortons de l’info continue pour mieux comprendre. C’est déterminant pour faire les bons choix pour l’avenir.

 

Conclusion : luttons ensemble contre la paresse intellectuelle, reprenons le temps et soyons curieux.ses !

Écrit par

Ségolène Montcel

Photos par 

Jérôme de Perlinghi

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2 réponses

  1. Un point du vue éclairé, une vision éclairante. Merci 🙏🏽
    Que vive la slow info et vive la slow life ☀️🍀😊

    Je suis prêt, avec votre complicité, à contribuer à la création, la rédaction, la production et la mise en lumière de contenus « slow » pour que le Monde toune rond

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