2 juin 2021

Vivre sur un voilier, en « nomadie »

Écrit par Juliette Mantelet

Le temps d’un expresso

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« J’ai souvent cette drôle d’impression de ne pas être exactement à ma place, de ne pas vivre pleinement ce pour quoi j’ai été faite. C’est pourquoi j’ai décidé de tout plaquer, mon job, mon appartement, mes petites habitudes. Je vais suivre mon compagnon en Indonésie et tenter un autre mode de vie, nomade, sur un voilier de 12 mètres de long”. On a tous et toutes déjà rêvé, un jour de déprime, de prendre un billet d’avion pour l’autre bout du monde et de changer de vie, radicalement. De disparaître, d’aller quelque part où personne ne nous connaît, où l’on peut se réinventer. Marie-Morgane Rousselin l’a fait. En mars dernier, « le jour où le monde s’est fermé », elle a débarqué en Indonésie pour rejoindre son conjoint, Vernon, et partir dix mois en mer, sur le voilier Schiehallion

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À 30 ans, elle qui est originaire des Alpes, s’est alors retrouvée dans un monde nouveau, un monde où elle nage plus qu’elle ne marche. Une vie en mer coupée de tout ce qu’elle connaît. Sans téléphone, sans réseau, sans porte-monnaie, sans argent ou achat. Une digital detox de l’extrême, forcée mais salvatrice, dont nous sommes nombreux.ses à rêver aujourd’hui, alors même que couper nos téléphones quelques jours en vacances nous paraît déjà terrifiant. De cette expérience, Marie-Morgane a fait naître un podcast, Un Monde sans hiver, dans lequel elle retrace l’aventure au jour le jour…

 

« Nous avons tout pour être heureux, de l’eau, de la nourriture, un paysage incroyable et chaque jour des découvertes. J’ai un sentiment de richesse dans ma vie. Cerise sur le gâteau, nous n’avons pas dépensé un centime depuis plusieurs semaines. Quel sentiment de liberté de ne pas avoir son porte-monnaie ou son téléphone sur soi. »

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Plus de dix mois passés au milieu des flots et un aller-retour en Europe plus tard, Marie-Morgane est à nouveau en Indonésie, à Lombok, prête à continuer de plus belle sa vie « en nomadie« . Et un vendredi matin, je pars en Zoom avec l’autre bout du monde. L’horaire de notre rencontre virtuelle a été pensé en fonction du décalage horaire. Je quitte ma banlieue parisienne en ce jour d’avril confiné direction… l’Indonésie. Et je vous prends dans mes bagages pour un peu de dépaysement bienvenu dans cette époque particulière. Place à l’interview.

 

D’où est née ton envie de changer de vie ? 

J’ai toujours fantasmé ces femmes qui partaient sur des bateaux de pêche, dans des conditions de folie, avec des grosses hautes mers, des travaux hyper durs, des milieux très masculins. Je me suis beaucoup renseignée sur ça. Je travaillais à Chamonix, avec d’un côté un projet de radio que j’avais monté avec un ami et sur lequel je prenais un peu de distance, et de l’autre un travail en Suisse dans la communication, où ça se passait très très mal. Une des premières motivations a été celle-ci : je voulais couper court à cette situation où j’étais très mal dans ma peau. J’ai rencontré à une exposition photo mon conjoint, qui était le photographe de l’exposition, et qui m’a dit : « J’ai un bateau, pendant six mois de l’année je prends le large et je reste seul sur mon voilier et je voyage »

 

Et tu as tout de suite eu envie de partir avec lui ?  

J’ai trouvé ça très intéressant, je lui ai posé plein de questions, mais je ne me sentais pas vraiment de le suivre à ce moment-là. Beaucoup de concessions à faire pour partir. Il est donc parti, et sur ces 6 mois, comme il me manquait, il m’a proposé de venir passer 3 semaines à Raja Ampat, la Ouest-Papouasie. Ces 3 semaines ont transformé ma vision de la vie. Je pense que depuis mes 7 ans, je n’avais plus pris le temps de rester deux heures à regarder un animal, une feuille d’arbre ou une fleur, sans me sentir coupable de ne pas être en train de faire quelque chose, de ne pas être productive. Et ça m’a alors sauté aux yeux qu’être en lien avec la nature me manquait énormément, et que ce mode de vie pourrait donc me convenir. Après ces trois semaines, mon conjoint m’a proposé de venir avec lui faire une saison l’année suivante. Tenter l’expérience.

 

À deux sur un voilier, on n’a jamais envie de passer l’autre par-dessus bord ?

J’ai tout de suite fait part de mes inquiétudes à mon conjoint sur le fait que ça se passe mal entre nous, que cela puisse devenir un enfer à bord dans un si petit espace. On s’est fait la promesse de pouvoir parler de tout et d’essayer de désengorger les moindres tensions qu’il pourrait y avoir. Sur le bateau, on est une équipe et il y a des moments où l’on a vraiment besoin de pouvoir compter l’un sur l’autre, si le temps devient mauvais, s’il se passe quelque chose, les deux doivent être très réactifs. On ne peut pas se permettre de bouder.

“ J’habite en nomadie ”

– Marie-Morgane

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Comment as-tu vécu d’être coupée du reste du monde, de tes proches ?

La culpabilité de ne pas donner des nouvelles reste. Je n’ai jamais vraiment réussi à enlever cette petite voix qui me disait, « peut-être que les autres s’inquiètent pour toi ». Mais je trouve que c’est presque ce qu’il y a de plus reposant de ne pas avoir cette contrainte perpétuelle d’être connecté. Les deux ou trois premiers jours, on a tendance à regarder son téléphone et à se rappeler qu’on n’a pas de réseau, et qu’on n’aura donc pas d’infos. Et puis, finalement, on oublie et nos journées sont finalement bien plus productives. On n’est pas sans cesse perturbé par nos dernières notifications, qui a dit quoi. C’est très bénéfique. 

 

pourquoi l’Indonésie ?

C’est un pays où il y a tellement d’îles que c’est parfait pour ce type de moyen de transport. Il y a de nombreux endroits complètement hors circuit du tourisme de masse qui t’offrent cette impression délicieuse d’être les premiers à mettre les pieds sur ces plages. Même si ce n’est pas du tout la réalité. 

 

Sur le voilier, qu’est-ce qui est le plus agréable au quotidien ? 

Vivre selon le rythme de notre environnement. La lumière du jour nous réveille naturellement à six heures du matin, et il n’y a pas moyen de l’empêcher d’entrer dans le bateau. On plonge avec les poissons avant même de prendre notre petit-déjeuner. On observe si le vent nous permet ou non d’aller dans la direction que l’on souhaite ce jour-là. S’il pleut, il faut que l’on récolte l’eau pour boire et donc que l’on retourne au bateau très vite pour ne pas louper ça. Tout est dirigé par ce qu’il se passe autour de nous, et c’est tellement bien orchestré que tu ne te poses plus la question de ce qu’il y a besoin de faire. C’est très apaisant. Il faut toujours analyser la météo, les courants et les marées, mais ce qu’il y a à faire chaque jour devient plus évident.

 

« Il est sept heures du matin. Jour, aucune idée. Mois, probablement début mai. Vernon est encore profondément endormi à côté de moi. J’enfile un de ses t-shirts et je me lève discrètement, je sors sur le pont. Le soleil dépasse tout juste des îles en forme de dôme, la température est encore agréable et j’observe la nature se réveiller autour de moi. Les petits perroquets rouges volent d’île en île, quelques insectes commencent à grésiller et les corbeaux croassent avec flemmardise. »

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On ne s’ennuie jamais ? 

C’est sûr qu’on a énormément de temps. Il y a un phénomène assez étrange qui se produit à bord, et que je ne sais toujours pas vraiment expliquer. Quand on navigue, et qu’il n’y a pas de mauvais temps, on entre un peu dans un état d’hypnose où l’on se retrouve face à des souvenirs que l’on avait enterrés depuis des années, et auxquels on pensait même ne jamais revenir parce que c’est classé, et que cela n’a aucun intérêt. Comme si le mouvement faisait remonter ces souvenirs dans notre tête. Cela permet de faire le point sur sa vie, savoir ce qu’on a envie de faire, ce qui nous a plu, ce qui ne nous a pas plu. C’est assez fort.

 

Comment repenser le voyage pour pouvoir continuer à le faire sans impacter notre planète ? 

Dans la longueur du départ. J’ai toujours réussi à m’arranger et à avoir des boulots qui me permettaient de ne pas être présente dans un bureau. Plutôt que de partir deux semaines à Bali, en sachant qu’il y a de grandes chances que tout ce que tu vas faire a déjà été vu et revu, plutôt aller s’installer dans un endroit plus longtemps. J’ai toujours privilégié une ville, un lieu et d’y rester longtemps plutôt que de faire plein de petites étapes pour cocher des cases. C’est ce que je trouve le plus dépaysant. 

 

Comment se passe votre rapport avec les populations locales sur place ?

Je n’ai aucun mauvais souvenir à citer en Indonésie. Ce sont des peuples, et je dis bien des peuples car chaque île à sa culture et sa façon de vivre, extrêmement accueillants, et d’autant plus quand on arrive par la mer. Il y a toujours des petits canaux avec des pêcheurs ou des enfants qui viennent nous dire bonjour avant même que l’on se permette nous d’aller sur terre. En général, on attend un peu de voir comment on va être accueillis pour ne pas s’imposer. Et très vite, ce sont eux qui montent à bord, nous amènent des fruits, nous proposent de venir boire le café. Tout le monde est très curieux, on nous invite dans les familles, à des funérailles, des mariages, des événements auxquels on ne s’attendait pas.

 

Il y a un souvenir particulier qui t’est resté en tête ? 

L’un des souvenirs les plus drôles c’est un moment où l’on revenait d’une ville où les gens avaient été assez froids, à cause du covid. On n’avait pas vraiment pu se mélanger, donc on était vraiment dans cette optique de garder nos distances pour le prochain arrêt. On avait eu une traversée assez longue et on voulait jeter l’ancre deux ou trois jours pour reprendre des forces, mais du coup sans forcément aller sur terre. Et très vite, les enfants sont montés à bord voir ce qu’on faisait, et ils étaient presque choqués que l’on ne vienne pas sur terre. Ils avaient l’impression qu’on les rejetait. On est donc allés voir ce qu’il se passait, avec dans l’idée comme souvent d’acheter des légumes et des fruits au marché du coin. Mais très vite, les enfants nous ont emmenés dans la tente des pêcheurs. C’était un dimanche, donc c’était leur jour de repos, et on s’est retrouvés un peu dans « la cuite dominicale« . Avec le karaoké, la grosse enceinte, le tout dans une petite cahute. Les hommes nous ont fait leurs danses, les femmes nous ont apporté du poisson. Et on a passé l’après-midi à boire du vin de palme avec des gens qui ne parlaient pourtant pas un mot d’anglais. La simplicité et l’accueil, alors qu’on ne se connaît absolument pas.

 

C’est vrai ça, comment vous faites pour vous comprendre ? 

Les gestes, les expressions de visage. Et quelques mots clefs d’indonésien pour parler du voilier, de la nourriture, savoir s’ils ont des enfants. On a de quoi pouvoir se présenter de manière basique. C’est sûr qu’on ne peut pas avoir de grandes discussions philosophiques (rires).

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Quel est le paysage qui t’a le plus marquée ? Fais-nous rêver.

Raja Ampat a été la région la plus intéressante au niveau des paysages et de la nature. Parce qu’en dehors du tourisme de plongée, il n’y a aucune construction, aucun hôtel, aucune boutique de plage. C’est encore assez préservé. C’est la première fois que je m’y suis retrouvée sur des îles désertes, où aucun humain ne vit. Et ça se ressent aussi forcément sur les animaux, c’est un parc marin protégé très riche. C’est ce que j’ai trouvé de plus impressionnant.

C’est assez exceptionnel, voir des baleines le matin, aller nager avec les requins, le nombre impressionnant de tortues autour du bateau, les gros lézards sur la plage.

 

Comment on s’adapte à ce monde sans hiver

Le climat sur l’eau est très différent du climat sur terre. Passer six mois sur terre, en Indonésie, je ne suis pas sûre que j’y arriverais pour tout ce qui est insectes, piqûres, lourdeur de l’atmosphère. Sur le bateau, on a une petite brise quasiment tout le temps. Mais je pense qu’après quelques mois, on est capables de s’habituer à tout. J’ai souffert pas mal de la chaleur à Raja Ampat, c’était une saison très humide. C’est un climat vraiment équatorial avec les jungles, l’humidité qui sort de toutes les plantes, ce qui fait un effet sauna. Mais d’autres îles ont un climat plus sec comme Lombok. On n’a pas du tout de climatisation sur le bateau et du coup on n’a pas non plus ce choc thermique permanent entre fraîcheur et chaleur.

 

Qu’est-ce que tu as appris de cette expérience ? 

Le dépassement de soi. Il y a plein de moments merveilleux, mais il y a aussi plein de moments très très éprouvants. Surtout physiquement. Et mentalement aussi, dans la longueur. On en ressort plus fort pour ce qui concerne les petits problèmes du quotidien, surtout dans cette période un peu trouble où l’on ne sait pas vraiment où l’on va. Ça me permet de relativiser sur ce qu’il se passe. Finalement, avec cette crise, je suis mieux sur l’eau où l’on ne m’impose pas de règles de confinement, de couvre-feu, de masque… 

 

Est-ce qu’on a quand même au bout d’un moment le besoin de retrouver ce qu’on connaît ? 

C’est surtout un état de fatigue. D’être en mouvement permanent, c’est vraiment ce qu’il y a de plus difficile. Pourtant, j’ai vraiment été nomade quasiment toute ma vie, je déménage cinq fois par an. Mais d’être nomade au jour le jour comme ça, c’est différent. Il y a une vraie fatigue qui s’installe de se réveiller, de se demander où l’on est, où l’on va demain. Après dix mois, j’avais parfois vraiment envie de me poser et d’arrêter de bouger forcément tous les jours.

 

Aujourd’hui, où est-ce que tu te sens « chez toi » ?

Ça fait déjà longtemps que je réponds à cette question que j’habite « en nomadie« .

Même si on a pensé brièvement à acheter un petit bout de chez nous, le voilier est ce qu’il y a de plus proche de ma maison, c’est là où j’ai mes repères, mes affaires

 

Un conseil pour les aventurier.ère.s en devenir ? 

Je pense qu’il faut juste s’écouter. Un départ dans tous les cas, ça n’est jamais facile, il y a toujours des bâtons qui vont se mettre dans nos roues, mais il faut pousser un peu, persévérer. Ce n’est d’ailleurs pas forcément fait pour tout le monde, et je ne conseillerais pas à tout le monde de le faire. Il ne faut pas se sentir non plus forcé de le faire parce qu’on se dit que c’est ce qui permet d’être ouvert d’esprit. C’est un moyen, mais il y en a tellement d’autres. Mais si en tout cas vous n’êtes pas bien dans la situation dans laquelle vous vivez, passer le pas et essayer ça ne coûte pas grand chose. Il vaut mieux regretter d’avoir fait quelque chose que regretter de ne pas l’avoir fait.

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En attendant de pouvoir partir voyager librement à nouveau, ou pour préparer votre prochain tour du monde en voilier, allez découvrir leurs aventures dans le podcast de Marie-Morgane : Un Monde sans Hiver ou avec les vidéos de Vernon sur la chaîne Youtube, Sailing Learning by Doing.

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Juliette Mantelet

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