22 avril 2021

  Hippocrate

Écrit par Juliette Mantelet

Le temps d’un expresso

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Pendant le premier confinement, on a applaudi très fort les soignant.e.s. Chaque soir, sans exception, à 20h au balcon. Et puis, on a arrêté, on a stoppé dès que nos libertés ont repris partiellement, un temps, le temps de l’été. Comme si pour eux.elles tout était réglé, que les services hospitaliers n’étaient plus surchargés et que le besoin d’encouragement était passé. On parle aujourd’hui plus que jamais de l’hôpital. Face à une crise sanitaire sans précédent, digne d’un film d’anticipation, impossible d’ignorer le problème. Le manque de personnel, de moyens, de place… C’est un peu comme si le covid avait débarqué pour sonner l’alarme. Mais même si l’on s’indigne, bien sûr, à moins d’avoir fait des séjours répétés à l’hôpital, il est difficile de se représenter concrètement les conditions de travail de nos soignant.e.s, d’imaginer la pression à laquelle ils font face chaque jour, de réaliser les conséquences sur les soins prodigués de ce manque de personnel, d’argent, de temps. C’était sans compter sur Hippocrate.

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Cette série est réalisée par Thomas Lilti, médecin et réalisateur, célèbre notamment pour son film Première Année avec Vincent Lacoste. Qui mieux que lui pour nous raconter le quotidien de l’hôpital ? Cette série, dont la saison 2 vient de sortir sur Canal +, tournée justement pendant cet été covidé où Thomas Lilti a dû reprendre du service, fait comprendre avec justesse la pression et les responsabilités qui pèsent sur les épaules de chaque médecin, de chaque soignant.e, de chaque interne. Sans même l’exprimer frontalement, simplement en nous plongeant dans leur quotidien. À chaque instant, une décision à prendre, un choix crucial à faire. Dont la vie des patient.e.s dépend, bien souvent. Et les gardes qui s’enchaînent, les heures qui s’allongent. La fatigue qui s’accumule. La misère de ces murs aux fresques sexuelles grotesques, qu’on ne peut plus voir en peinture, de ces repas de cantine un peu dégueux. La vie passée à l’hôpital. La pression enfin relâchée dans des soirées exubérantes, vides de sens. Pulsion de vie. Et cette musique électro stressante du générique qui pulse et qui plane sur chaque moment de tension, dont le rythme s’accélère quand l’angoisse grandit, qui symbolise à merveille cette course pour la vie, cette course permanente pour le soin.

Qui parfois s’arrête, laissant planer dans le silence alors retrouvé les bips inexorables des machines, les oscillations d’un cœur en suspens.

 

On s’attache vite aux quatre héros de la série, les quatre internes. Chloé, Arben, Hugo et Alyson. Interprété.e.s avec une telle précision par Louise Bourgoin, Alice Belaïdi, Karim Leklou et Zacharie Chasseriaud, qu’on en oublierait presque qu’ils.elles ne sont pas de jeunes internes éprouvé.e.s, mais bien des acteur.rice.s. Ils.elles incarnent ces soignant.e.s encore peu expérimenté.e.s, qui essaient malgré tout de tout bien faire, comme on leur a appris, d’apaiser du mieux possible chaque patient.e, de prendre le temps. Mais que l’on presse, à qui l’on demande sans cesse d’accélérer, de rester moins longtemps avec chaque malade. C’est la lourde adaptation à la dure réalité de l’hôpital en 2021, loin des manuels. Et c’est alors que les erreurs surviennent. Celles que dénoncent aussi Martin Winckler dans son essai terrifiant Les Brutes en Blanc. Des manquements, des erreurs d’appréciation, un prélèvement mal effectué, une patiente oubliée. Mais qui pourrait leur reprocher ? Ils ne sont qu’humains dans un service délaissé, délabré, mécanisé.

Dans cette saison 2, les urgences débarquent à l’étage de la médecine interne, leurs locaux ayant été inondés suite à l’explosion d’une canalisation. Et la série se cale alors sur le rythme inarrêtable des urgences, des urgences en “mode dégradé”, un mode si proche de la réalité. C’est la course permanente. Igor, interne surmené, enchaîne 72h de garde sans pause, avant de craquer. Les infirmières dévouées sont contraintes de sauter sans arrêt leurs jours de congés face au manque d’effectif. Dans cette nouvelle saison, la mise en parallèle des jeunes internes, pleins d’empathie, qui s’évanouissent face à un os fracturé, qui s’attachent aux patient.e.s, flippent et paniquent, remettent en question le protocole déshumanisé, et du médecin chef, le Dr Brun, rodé par les années, habitué, qui parvient à laisser ses émotions de côté est particulièrement frappante. Ce chef charismatique, sûr de lui, campé par l’attachant Bouli Lanners qui ne cesse de leur répéter d’aller plus vite, ce mot qui revient sans arrêt, en boucle. 

“Si on crie, si on pleure, si on panique, on n’aide pas le patient. Le patient il a peur, si tu as peur, il a encore plus peur et ça monte comme ça. Non, nous on tient. On ne se laisse pas déborder.”
– Dr Brun

Une série épuisante, qu’on est pourtant obligé.e de regarder d’une seule traite. Le cœur qui bat à cent à l’heure, la boule au ventre, le souffle retenu pendant chaque séquence de réanimation. On la termine lessivé.e, vidé.e. Presque comme à la fin d’une garde. Le réalisateur est parvenu brillamment à nous mettre à la place des internes. Après des moments particulièrement intenses, comme celui de l’arrivée aux urgences de tous les clients et clientes d’un hôtel, intoxiqué.e.s au monoxyde de carbone, on croit enfin pouvoir souffler un peu. La tension se relâche. Mais non, d’autres patient.e.s arrivent. Et il faut enchaîner.

 

Le pire, c’est peut-être que pour une fois, la fiction ne dépasse jamais la réalité. Malheureusement. « Le véritable hôpital est devenu plus romanesque que mon décor. J’ai vu la réalité me doubler à vive allure« , décrit Thomas Lilti dans une interview. Et ce chiffre d’un.e interne qui se suicide tous les 18 jours depuis le début de l’année 2021 est là, implacable. Impossible de se dire que Thomas Lilti en rajoute ou de se répéter cette phrase si facile d’habitude pour oublier l’horreur : « ce n’est qu’une série.« 

 

 

 
 
 
 
 
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Hippocrate est essentielle, car même si comme le dit le réalisateur dans une interview pour Télérama, « Je doute qu’un président de la République déclare un jour : Dis donc, j’ai vu le dernier Lilti, il faut qu’on change tout pour l’hôpital. », elle rend un hommage vibrant à ces héros et héroïnes ordinaires, sous payé.e.s, malgré de longues années d’études. Après mon visionnage de la saison 1, je me souviens d’ailleurs avoir écrit à une de mes amies, étudiante en médecine, pour lui dire que grâce à Hippocrate, j’avais l’impression de mieux comprendre son monde, de pouvoir entrapercevoir un tout petit peu son stress quotidien. Et surtout pour lui répéter combien je l’admire.

Si le sujet vous intéresse, Thomas Lilti vient de sortir aux éditions Grasset, Le Serment. Son premier livre, où il raconte son retour à l’hôpital en tant que bénévole pendant la crise du covid et partage ses interrogations sur la condition de médecin.

Écrit par

Juliette Mantelet

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