Alors que les portes de nos cinémas sont toujours désespérément fermées, les affiches des derniers films projetés encore accrochées sur les façades, comme si elles attendaient le retour des visiteur.se.s, c’est l’occasion idéale pour redécouvrir des trésors qu’on a loupés dans cette effervescence de sorties qui nous manquent tant. C’est le cas d’Amanda de Mikhaël Hers porté par Vincent Lacoste. Un film poignant sur le deuil et son lent processus. Un film sorti tout juste trois ans après les attentats de novembre 2015, ces tragédies qui ont bouleversé notre monde à jamais, bien que l’on soit aujourd’hui retourné à nos terrasses et que l’on ne sursaute presque plus quand un moteur pétarade, qui transforment résolument celui de David et Amanda. C’est un film, surtout sur la vie qui reprend son cours. Toujours.
Le début d’Amanda est enchanteur, trop beau pour être vrai. Amanda et sa mère, Sandrine, ont la complicité brillante, pétillante, éclatante. Elles se dandinent vibrantes sur du Elvis Presley, dévorent des Paris-Brest. David, le frère de Sandrine, court après le temps entre deux petits boulots. Toujours là pour sa sœur et sa nièce, même avec un peu de retard. Un frère et une sœur unis dans l’adversité, face à la désertion d’une mère absente, lointaine. C’est l’été, les tenues sont légères, les couchers de soleil apaisants, le ciel sans nuage à l’horizon. Et puis, l’horreur surgit. Un pique-nique entre ami.e.s se transforme en une véritable boucherie. Des terroristes fusillent des innocent.e.s, des inconnu.e.s. Comme dans nos bars et nos lieux culturels le 13 novembre 2015. En un instant tout bascule. Pour les personnages du film plus rien ne sera jamais comme avant, et pourtant le soleil d’été poursuit sa course implacable, ce même soleil doré qui brille sur le château de Vincennes, le soir de l’attentat.
David, jeune adulte encore insouciant de 24 ans, assez nonchalant, qui passe son temps à traverser Paris en vélo, doit alors trouver les mots pour annoncer à sa nièce que sa mère, ils ne la reverront plus jamais. Puis, surtout, décider ou non de devenir son tuteur, jusqu’à sa majorité. Le voilà responsable d’un autre être, sans préparation. Il doit gérer son deuil tout en aidant sa nièce à faire face au sien. Tant et si bien qu’on ne sait plus très bien, finalement, qui soutient l’autre. David tente aussi de continuer tant bien que mal à vivre sa jeunesse, son histoire d’amour avec Léna, sa voisine, ses soirées avec les copains, comme si tout allait bien. Mais dès qu’on l’interroge, il s’effondre. Et puis malgré tout, le temps passe, et même si David visite un foyer pour enfants, on comprend sans attendre qu’il l’annonce officiellement, que c’est plié, Amanda il ne la lâchera pas.
Vincent Lacoste, si touchant dans ce rôle dramatique, dont le regard vacille, hésite, qui ne sait pas trop quoi faire de son corps, de ses bras, qui ne trouve pas toujours les bons mots, qui est parfois franchement à côté de la plaque, mais dont le sourire authentique, naturel, franc, rassure. La joie jaillit, refait surface dans des instants volés, fugaces, inattendus.
La force d’Amanda et de ses acteurs et actrices, c’est que tout passe par les visages et les regards. Les scènes les plus fortes sont bien souvent celles sans parole, où les mots s’effacent. Celles où l’émotion affleure sans crier gare, toujours avec une grande pudeur et une sobriété à saluer. Bien plus efficaces que des dialogues grandiloquents ou des plans saturés de musique dramatique. David qui fond en larmes, sans prévenir, en silence, en pleine gare de Lyon. Qui rattrape une amie croisée dans la rue et à qui il n’a d’abord pas osé dire la tragique vérité et cette vérité qui surgit finalement sur ses lèvres, presque malgré lui. Ses lèvres sur lesquelles sans même l’entendre on saisit toute l’ampleur de la confidence. Le sursaut de panique post-traumatique de Léna, rescapée de la fusillade, quand elle entend un pétard qui explose dans la rue. La crise de larmes d’Amanda un soir dans son lit. Les grands yeux bleus si expressifs d’Amanda, toujours, qui passe des larmes au rire dans une scène finale particulièrement réussie de match de tennis à Wimbledon. Une scène qui résume la vie, en quelques minutes à peine. La vie et son tourbillon où l’on s’accroche, où l’on persévère, où rien n’est perdu d’avance.